Actu professionnelleCOVID ET DÉLAIS : OÙ EN EST-ON CÔTÉ RURAL ?

Alors que nos quotidiens reprennent doucement leur cours, l’ordonnance relative aux délais (n° 2020-306 du 25 mars 2020) obstrue-t-elle toujours le sablier du temps ? Que reste-t-il du texte après la valse des six ordonnances rectificatives qui l’ont retouché, la dernière datant du 3 juin ?

Ord. n° 2020-427 du 15 avril 2020, n° 2020-460 du 22 avril 2020, n° 2020-539 du 7 mai 2020, n° 2020-560 du 13 mai 2020, n° 2020-595 du 20 mai 2020 et n° 2020-666 du 3 juin 2020. NB : La version consolidée est en ligne : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041755644

Si la parenthèse temporelle s’est refermée le 23 mai minuit pour la SAFER, elle reste ouverte jusqu’au 23 juin minuit pour les autres droits de préférence et de préemption ruraux. Le texte a articulé le sort de ces délais autour de trois articles.

– L’ARTICLE 2 POUR LES DROITS DE PRÉFÉRENCE ET PRÉEMPTION DES PARTICULIERS MALGRÉ UNE CONTROVERSE –

« Tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois.

(…) Le présent article n’est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits » (…).

A priori, rien dans la lettre de ce texte ne permet d’exclure qu’il profite au fermier ou au voisin dans l’exercice de leur droit de préemption ou de préférence, surtout dans sa première version née de l’ordonnance du 25 mars 2020 (n° 2020-306). En effet :
  • la formalité de notification est précisément envisagée par le texte,
  • le délai de deux mois du fermier et du voisin pour exercer leur droit a bien une origine légale,
  • et le non-exercice du droit pendant ce temps imparti est sanctionné par la forclusion.

En outre, cet article s’inscrit dans le Titre I de l’ordonnance, ouvert à tous, et non aux seules administrations visées dans l’article 6.

L’ordonnance du 25 mars 2020 a toutefois été rectifiée le 15 avril suivant (n° 2020-427), pour exclure de l’article 2 les « délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement ». Techniquement, le délai pendant lequel un droit de préemption peut être exercé par son titulaire ne figure pas dans cette énumération, puisqu’il s’analyse comme un délai d’acceptation. Une interprétation stricte du texte conduit ainsi à le soumettre à l’article 2, qui rouvre le délai de deux mois en entier à la fin de la période juridiquement protégée.

Dans la FAQ du CSN, on lit cependant que « l’analyse conduisant à écarter l’application de l’article 2 pour le délai offert au bénéficiaire d’un droit de préemption pour prendre parti devait à notre sens être privilégiée. C’était la position que le CSN avait adoptée dès le 25 mars. C’est cette analyse qui est confirmée par l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 car il s’agit d’un délai de réflexion ».

Les délais de réflexion sont pourtant définis par le code civil comme ceux « avant l’expiration desquels le destinataire d’une offre contractuelle ne peut manifester son acceptation » (C. civ., art. 1122, définition reprise dans le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-427 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions en matière de délais pour faire face à l’épidémie de covid-19) et le délai accompagnant l’exercice d’un droit de préemption s’inscrit dans le mécanisme strictement inverse, selon lequel le temps imparti permet au titulaire d’accepter l’offre de vente reçue, son silence au terme des deux mois valant renonciation.

Mais les textes sont rarement exhaustifs et il est possible que le rajout opéré par l’ordonnance rectificative n’ait qu’une valeur indicative. En effet, cette précision glissée dans l’article 2 est spécifiée à caractère interprétatif, ce qui signifie que le Gouvernement nous livre ici l’esprit avec lequel il a rédigé le texte (d’où un effet rétroactif attaché). Serait-il possible qu’il ait assimilé les deux types de délai (renonciation et acceptation) dans une même catégorie, s’agissant de mécanismes « miroirs » (le délai de renonciation ouvre une « période » permettant au titulaire de renoncer, et son issue se solde par une acceptation tacite/ le délai d’acceptation ouvre quant à lui une « période » permettant au titulaire d’accepter, et son issue se solde par une renonciation tacite) ? Le silence produit un effet opposé dans chacun de ces mécanismes mais ils sont tous deux fondés sur les notions de renonciation et d’acceptation, par l’écoulement du temps. Une telle interprétation comporte néanmoins sa dose d’incertitude et, à défaut d’éléments clairs, l’hésitation est permise.

L’absence de prorogation de ces délais pourrait néanmoins se justifier au regard d’un autre critère, moins palpable, qui est l’esprit du dispositif, lequel semble s’attacher à préserver les actes immobiliers (V. la précision quant au délai de rétractation, exclu par l’ord. du 15 avr. 2020).

Au vu de l’incertitude existante et puisque diverses interprétations peuvent être retenues, il semble plus prudent d’essayer d’obtenir une renonciation expresse du locataire ou du voisin avant de conclure la vente au profit d’un tiers acquéreur.

Si le locataire ou le voisin refuse de répondre explicitement, la prudence invite à considérer que le mécanisme de l’article 2 doive être mis en œuvre (en optant pour une interprétation stricte du texte, à la lumière du rapport précité, par prudence).

Effets de l’article 2 sur le calcul du délai – Pour tous les droits de préemption « privés » (en rural notamment : droit de préemption du fermier et droit de préférence forestier du voisin) :
  • Période juridiquement protégée (PJP) : du 12 mars au 23 juin inclus
  • Effets : que la notification ait été envoyée au titulaire du droit de préférence ou préemption avant le 12 mars (sauf si le délai de deux mois était expiré bien sûr avant le 12 mars) ou pendant la PJP :

= Le délai de 2 mois recommence à zéro au 24 juin (→ jusqu’au 24 août)

– L’ARTICLE 12 QUATER POUR LA SAFER –

« Sans préjudice de la faculté de prévoir, pour les mêmes motifs que ceux énoncés à l’article 9, une reprise des délais par décret, les délais relatifs aux procédures de préemption, prévues au titre Ier du livre II du code de l’urbanisme et au chapitre III du titre IV du livre Ier du code rural et de la pêche maritime, à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis de l’un des organismes ou personnes mentionnés à l’article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020, sont, à cette date, suspendus. Ils reprennent leur cours à compter du 24 mai 2020 pour la durée restant à courir le 12 mars 2020.

Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période comprise entre le 12 mars 2020 et le 23 mai 2020 est reporté à l’achèvement de celle-ci. »

Effets de l’article 12 quater sur le calcul du délai – Pour le droit de préemption de la SAFER :
  • Période juridiquement protégée (PJP) : du 12 mars au 23 mai inclus
  • Effets :

›. Si la notification a été envoyée à la SAFER avant le 12 mars et que le délai de 2 mois n’était pas expiré avant ce jour :

= Le délai de 2 mois a été suspendu le 12 mars et a repris son cours, pour le nombre de jours restants à courir, le 24 mai.

›. Si la notification a été envoyée pendant la PJP :

= Le délai de 2 mois a commencé à courir le 24 mai.

– L’ARTICLE 7 POUR LES DROITS DE PRÉEMPTION DES COLLECTIVITÉS OU DE L’ÉTAT NON PRÉVUS DANS L’ARTICLE 12 QUATER (EN DROIT RURAL : DROITS DE PRÉEMPTION FORESTIERS DES COMMUNES ET DE L’ÉTAT, AUTORISATION D’EXPLOITER DU CONTRÔLE DES STRUCTURES) –

« Sous réserve des obligations qui découlent d’un engagement international ou du droit de l’Union européenne, les délais à l’issue desquels une décision, un accord ou un avis de l’un des organismes ou personnes mentionnés à l’article 6 peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période mentionnée au I de l’article 1er.

Le point de départ des délais de même nature qui auraient dû commencer à courir pendant la période mentionnée au I de l’article 1er est reporté jusqu’à l’achèvement de celle-ci.

Les mêmes règles s’appliquent aux délais impartis aux mêmes organismes ou personnes pour vérifier le caractère complet d’un dossier ou pour solliciter des pièces complémentaires dans le cadre de l’instruction d’une demande ainsi qu’ au délai de rétractation fixé au titre de la procédure de rupture conventionnelle dans la fonction publique prévue par l’article 72 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique.

Sous réserve des dispositions de l’article 12, les délais prévus pour la consultation ou la participation du public sont suspendus jusqu’au 30 mai 2020 inclus ».

Cet article s’applique, par défaut, pour les droits de préemption des collectivités qui ne figurent pas dans le titre Ier du livre II du code de l’urbanisme, et les décisions rendues par les autorités administratives (préfecture notamment).
Effets de l’article 7 sur le calcul du délai :
  • Période juridiquement protégée (PJP) : du 12 mars au 23 juin inclus
  • Effets :

›. Si la notification ou la demande a été envoyée au titulaire du droit de préemption ou à la préfecture avant le 12 mars (et que le délai d’instruction n’était pas expiré avant le 12 mars) :

= Le délai de 2 mois (ou de 4 mois pour le contrôle des structures) a été suspendu le 12 mars et ne reprendra son cours, pour le nombre de jours restants à courir, que le 24 juin.

›. Si la notification a été envoyée pendant la PJP :

= Le délai de 2 mois commencera à courir le 24 juin.

NATURE DU DROIT ARTICLE PJP CALCUL DU DÉLAI
Droit de préemption de la SAFER 12 quater 12 mars à 23 mai inclus
  • Notification envoyée à la SAFER avant le 12 mars (et délai de 2 mois non expiré avant le 12 mars) :

-› Délai de 2 mois suspendu le 12 mars. A repris son cours, pour le nombre de jours restants à courir, le 24 mai.

  • Si la notification a été envoyée pendant la PJP :

-› Le délai de 2 mois a commencé à courir le 24 mai.

Droits de préférence et de préemption forestiers de la commune

Droit de préemption forestier de l’État

Demande d’autorisation d’exploiter au titre du contrôle des structures

7 12 mars à 23 juin inclus
  • Notification ou demande envoyée avant le 12 mars (et délai d’instruction non expiré avant le 12 mars) :

-› Délai de 2 mois (ou de 4 mois pour le contrôle des structures) suspendu le 12 mars. Reprendra son cours, pour le nombre de jours restants à courir, le 24 juin.

  • Si la notification a été envoyée pendant la PJP :

-› Le délai de 2 ou 4 mois commencera à courir le 24 juin.

Droit de préemption du fermier

Droit de préférence forestier du voisin

2 12 mars à 23 juin inclus

Que la notification ait été envoyée au titulaire du droit de préférence ou préemption avant le 12 mars (sauf délai expiré avant le 12 mars) ou pendant la PJP :

-› Le délai de 2 mois recommence à zéro au 24 juin (jusqu’au 24 août)

REMARQUE :
Ces ordonnances suspendent les délais mais pas le pouvoir de décision des titulaires qui peuvent ainsi exercer leur droit de préemption ou y renoncer valablement, par voie expresse.

Téléchargement

Vous pouvez télécharger le tableau en version pdf

en cliquant ICI

STÉPHANIE DE LOS ANGELES
(CONSULTANTE AU CRIDON NORD-EST)