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Voilà des années que la Cour de cassation est tiraillée entre l’interdiction légale de recourir aux mères porteuses (C. civ., art.16-7 et art.16-9) et le souci légitime de permettre la reconnaissance et l’établissement de la filiation des enfants nés de la GPA, ces « fantômes de la République ».

Après que la France a été condamnée par la CEDH dans les célèbres affaires Mennesson et Labassée (CEDH, 25 juin 2014, n°65192/11 et n°65941/11), la Haute juridiction a pu au moins admettre l’existence et l’établissement du lien de filiation entre l’enfant et son père biologique, car l’art.8 de la Conv. EDH garantit le droit de l’enfant à la vie privée, notion incluant l’identité dont la filiation est l’un des éléments. Aux termes de deux arrêts du 3 juillet 2015, elle a jugé que la transcription en France de l’acte de naissance étranger doit être autorisée, sauf s’il s’avère que l’acte de naissance est irrégulier, falsifié ou mensonger. Si ces conditions sont remplies, la convention de gestation pour autrui ne fait pas obstacle à la transcription de l’acte de naissance (Cass., Ass. Plén., 3 juillet 2015, 2 arrêts, n°15-50.002 et n°14-21.323). La Cour de cassation a ainsi tiré les leçons des arrêts Mennesson et Labassée, abandonnant la solution rigoureuse de sa première chambre civile en déplaçant le débat vers la régularité de l’acte enregistré. Cela signifie qu’un acte de naissance établi à l’étranger qui désigne pour mère, non pas celle qui a accouché mais la mère d’intention (voire le « second papa »), n’est pas conforme à la réalité et ne peut pas être transcrit sur les registres de l’état civil français (Cass. 1e civ., 14 mars 2018, n°17-50.021).

Restait donc très délicate la question du sort du « parent d’intention » (épouse stérile ou mari du géniteur) désireux d’établir un lien juridique avec l’enfant né de la mère porteuse, mais que la CEDH préférait ignorer.


Par quatre arrêts spectaculaires en date du 5 juillet 2017, la Cour de cassation a autorisé l’établissement de la filiation de l’enfant né d’une mère porteuse, à l’égard du parent d’intention (père ou mère), non pas de façon directe par la transcription à l’état civil, mais de façon différée et conditionnée à l’intérêt de l’enfant, à savoir par le biais de l’adoption ! (V. en particulier : Cass. 1e civ., 5 juillet 2017, pourvoi n°16-16.455, affaire de Victorville). Par exemple, si l’acte de naissance canadien d’un enfant né par GPA mentionne le nom de l’homme français (le géniteur) en qualité de père, mais ne porte aucune indication quant à la mère, le double lien de filiation peut être établi en France : le père biologique reconnaît son enfant, puis son mari (ou son épouse) l’adopte sous la forme plénière (art.345-1 c. civ.).

 

Mais quid lorsque l’acte de naissance établi à l’étranger ne respecte pas l’art.47 c. civ., ainsi s’il mentionne à tort l’épouse du père biologique comme mère légale ? Comment sortir de l’impasse ? Confrontée à cette difficulté, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a, dans l’un de ses deux arrêts du 5 octobre 2018 sursis à statuer, adressant une demande d’avis consultatif à la CEDH (Cass. Ass. plén., 5 octobre 2018, n°10-19053 et n°12-30138).

Ce premier avis consultatif vient d’être rendu le 10 avril 2019 (P16-2018-001), révélant de nouveau la frilosité de la CEDH en la matière. Certes, la Cour rappelle qu’au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant né à l’étranger d’une GPA, le droit interne doit offrir une possibilité de reconnaître un lien de filiation entre cet enfant et la mère d’intention. Cependant, elle considère que l’art.8 de la Conv.EDH n’impose pas d’obligation générale pour les Etats de reconnaître ab initio ce lien de filiation, donc n’oblige pas les Etats à procéder à la transcription de l’acte de naissance étranger en ce qu’il désigne la mère d’intention comme étant la mère légale, car d’autres voies peuvent servir l’intérêt de l’enfant, dont l’adoption. En clair, un parent d’intention (épouse stérile ou mari) du père biologique ne peut pas établir directement sa filiation avec l’enfant, ne peut pas être mentionné comme mère ou père de l’enfant sur les registres de l’état civil français. Mais, le cas échéant, il pourrait recourir à l’adoption. Euphémiquement, on dira que l’établissement de la filiation d’un enfant né de mère porteuse ne se trouve pas notablement facilité par l’avis de la CEDH. Outre que celle-ci n’aide pas la Cour de cassation qui sollicitait son aide mais va devoir continuer à inventer des solutions au cas par cas, elle n’incite pas le législateur français à réformer le droit de la filiation. L’interdiction de la GPA pourrait encore durer longtemps !

JOËLLE VASSAUX
(CONSULTANTE ASSOCIÉE AU CRIDON NORD-EST
& PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ D’ARTOIS
)

DAVID BOULANGER
(DIRECTEUR DU CRIDON NORD-EST)

© FLASH n°3/2019 – 18 avril 2019

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