Actu professionnelleCONSÉQUENCES DES VIOLENCES INTRAFAMILIALES SUR L’OBLIGATION ALIMENTAIRE
La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales (JORF, 31/7), comporte de nombreuses dispositions dont deux concernent particulièrement la pratique notariale. À l’évidence, la création d’une nouvelle cause d’indignité successorale constitue l’apport essentiel aux yeux des praticiens (Cf : la note d’actualité de S. Le Chuiton). Pour autant, il ne faut pas ignorer la nouvelle rédaction de l’article 207 du Code civil, texte relatif à l’obligation alimentaire.

Chacun sait qu’en tant que structure de base de la société, la famille impose une solidarité entre ses membres, selon leur degré de proximité. Ainsi l’obligation alimentaire « incombe à une personne dont les ressources sont suffisantes, de fournir à une autre, en état de besoin, ce qui lui est nécessaire pour vivre » (P. Courbe et A. Gouttenoire, « Droit de la famille », ed. Sirey, 2017, n°1586).

Si l’on réserve l’hypothèse spécifique du devoir de secours entre époux (C. civ., art.212) et du devoir d’aide matérielle entre partenaires (C. civ. art.515-4), par principe l’obligation alimentaire n’existe qu’en ligne directe. Selon l’article 203 du Code civil, « les époux contractent ensemble, par le seul fait du mariage, l’obligation de nourrir, entretenir et élever leurs enfants », devoir qui s’inscrit dans l’obligation plus générale d’entretien inscrite à l’article 371-2 du Code civil, à l’intention de tous les parents, mariés ou non. Réciproquement, « les enfants doivent des aliments à leurs père et mère ou autres ascendants qui sont dans le besoin » (C. civ., art.205).

 

Cependant, ce légitime souci de solidarité entre membres proches d’une même famille peut parfois se heurter à des considérations d’équité. Dans l’hypothèse où un parent défaillant, qui s’est toujours désintéressé de ses enfants ou qui les a maltraités, s’appauvrit et s’avise alors de leur existence pour les solliciter sans vergogne, est-il juste de lui accorder un soutien financier ? L’enfant battu, devenu majeur, a-t-il l’obligation de voler au secours de son bourreau nécessiteux ?

Heureusement non. Depuis 1972, la loi prévoit que « quand le créancier aura lui-même manqué gravement à ses obligations envers le débiteur, le juge pourra décharger celui-ci de tout ou partie de la dette alimentaire » (C. civ., art.207, al.2). Par exemple, lorsqu’un jeune enfant est abandonné par son père et que, bien des années plus tard, celui-ci devenu indigent lui réclame son aide en faisant valoir sa situation de « créancier d’aliments », il peut se soustraire à la revendication sur le fondement de ce texte. Toutefois, cela impose de saisir le juge et de lui fournir les preuves de ces manquements graves, ce qui n’est pas toujours chose aisée.

La loi du 30 juillet 2020, consacrant son chapitre III « aux exceptions d’indignité en cas de violences intrafamiliales » (et non pas seulement aux violences conjugales, comme l’indique son intitulé général), ajoute un alinéa à cet article 207 : « En cas de condamnation du créancier pour un crime commis sur la personne du débiteur ou l’un de ses ascendants, descendants, frères ou sœurs, le débiteur est déchargé de son obligation alimentaire à l’égard du créancier, sauf décision contraire du juge ».

Le législateur de 2020 alourdit donc la sanction du créancier d’aliments, qui dorénavant ne pourra plus réclamer d’aide au débiteur désigné par la loi, non seulement lorsqu’il se sera très mal comporté avec ce dernier, mais aussi lorsqu’il aura été condamné pour un crime commis sur l’un des ascendants, descendants, frères ou sœurs de ce débiteur. Par exemple, si une femme meurt sous les coups du père de ses enfants, ceux-ci seront exonérés de leur obligation alimentaire envers leur géniteur. Dès lors que le créancier alimentaire sera condamné pour avoir commis un crime sur un membre de sa famille proche, il perdra son droit aux aliments… « sauf décision contraire du juge » (dans quels cas ??).

Cette nouvelle sanction peut paraître légère au regard de la gravité des faits. Mais, outre que ce n’est qu’une sanction complémentaire, elle marque symboliquement la volonté du législateur de protéger, aussi largement que possible, les victimes directes et indirectes de violences intrafamiliales. Elle ne peut donc qu’être approuvée.

JOËLLE VASSAUX
(CONSULTANTE ASSOCIÉE AU CRIDON NORD-EST)