Actu professionnelleCOVID-19 : PEUT-ON CONCLURE UN PACS NOTARIÉ PENDANT LA PÉRIODE DE CONFINEMENT ?
Il nous semble que cette question mérite d’être posée, pour au moins deux raisons. D’une part, le Pacs notarié présente d’indéniables avantages sur le Pacs sous signature privée enregistré par l’officier de l’état civil : quant à sa rédaction et quant à sa conservation, il sécurise les partenaires de façon sérieuse. D’autre part, en cette période de confinement, les mairies ont considérablement restreint leur accueil du public ; le plus souvent, elles ne restent ouvertes que pour les déclarations de naissance, les déclarations de décès et les démarches liées aux inhumations. A contrario, beaucoup d’entre elles ont suspendu les enregistrements de Pacs.
Il ne paraît donc pas incongru d’envisager la situation d’une personne mourante qui souhaiterait conclure un Pacs (voire, ensuite, rédiger un testament) et ferait donc appel à un notaire.

1 – QUE DIT LA LOI ?

L’article 515-3 du Code civil dispose : « Lorsque la convention de pacte civil de solidarité est passée par acte notarié, le notaire instrumentaire recueille la déclaration conjointe, procède à l’enregistrement du pacte et fait procéder aux formalités de publicité prévues à l’alinéa précédent » (al.5).
Incidemment, on relève que la disposition aux termes de laquelle « En cas d’empêchement grave, l’officier de l’état civil se transporte au domicile ou à la résidence de l’une des parties pour enregistrer le pacte civil de solidarité » (C. civ., art.515-3, al.2) n’a pas été étendue au notaire.

2 – QUELLES SONT LES PROBLÉMATIQUES SOULEVÉES PAR LE COVID-19 ?

1ÈRE QUESTION

LES PARTIES PEUVENT-ELLES SE RENDRE À L’ÉTUDE ?

La réponse est négative. En dernier lieu, le décret n°2020-293 du 23 mars 2020 (JO du 24) rappelle qu’afin de ralentir la propagation du coronavirus, les mesures d’hygiène et de distanciation sociale « doivent être observées en tout lieu et toute circonstance ». Certes, son article 3 prévoit des dérogations à ce principe d’interdiction de déplacement de la personne hors de son domicile. Mais, il ne paraît pas raisonnable de conseiller aux futurs partenaires d’invoquer (sur leur attestation) un « motif familial impérieux » de déplacement (art.3, 4°) ou une « promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile » (art.3, 5°). Les exigences de santé publique imposent de ne pas interpréter de façon extensive ces dispositions.

2ÈME QUESTION

L’UN DES FUTURS PARTENAIRES POURRAIT-IL RECOURIR À UN MANDATAIRE ?

La réponse est encore négative. Outre qu’on ne voit pas bien qui pourrait remplir cette mission en période d’épidémie, il convient de rappeler que, si la loi ne dit rien à cet égard, la Circulaire n°2007-03 CIV du 5 fév. 2007 a clairement précisé qu’en « raison du caractère éminemment personnel de cet acte, ils ne peuvent recourir à un mandataire » (p.8). La doctrine unanime a ainsi toujours considéré que cette déclaration conjointe implique la comparution personnelle et simultanée des partenaires. Contrairement à la régularisation d’un contrat de mariage (C. civ., art.1394), la conclusion d’une convention de Pacs interdit le recours à un mandataire.

3ÈME QUESTION

LE NOTAIRE PEUT-IL RECEVOIR SES CLIENTS À L’ÉTUDE ?

Il s’agit d’une question générale, déjà traitée par le CSN : il semble « probable que le notaire ne soit pas tenu d’une obligation d’instrumenter absolue et qu’il pourrait arguer des circonstances particulières d’une période de pandémie… » (FAQ, 23 mars 2020). Même si « on ne dispose pas de solutions fiables » (FAQ, préc.), il semble que même en respectant les « mesures barrières » le notaire doive en principe renoncer à accueillir ses clients.

4ÈME QUESTION

EN CAS D’URGENCE, LE NOTAIRE PEUT-IL (DOIT-IL) SE DÉPLACER AU CHEVET D’UNE PERSONNE MOURANTE ?

La réponse est nécessairement embarrassée. En effet, si l’on considère qu’en principe le notaire peut refuser d’instrumenter ou, plus exactement, peut légitimement reporter un rendez-vous pour des raisons sanitaires, il semble que l’urgence puisse justifier un déplacement. A cet égard, le décret précité du 23 mars admet « les déplacements professionnels insusceptibles d’être différés » (art.3, 1°). Ainsi un notaire pourrait-il être requis par une personne mourante aux fins de régulariser un pacte (éventuellement suivi d’un testament). D’ailleurs, la même observation vaut pour l’officier d’état civil : C. civ., art.515-3, al.2.

D’où la question sensible : l’imminence d’un décès pouvant s’analyser comme un cas d’urgence, le notaire (qui est y alors autorisé par le décret) peut-il légitimement refuser de se déplacer, spécialement lorsque le moribond est atteint du coronavirus ? Une fois encore, les exigences de santé publique semblent légitimer le refus du notaire, que du reste on n’imagine pas de contraindre à se déplacer ! Mais, le compagnon (ou la compagne) du défunt ne pourrait-il pas ultérieurement invoquer le préjudice résultant de la perte de chance d’avoir conclu un Pacs (voire de la perte de chance d’avoir été ensuite désigné légataire dans un testament) ? Des questions de responsabilité professionnelle ne pourraient-elles se profiler ?

Compte tenu de ces doutes, ne pourrait-on suggérer le modus operandi suivant ?

3 – QUEL MODUS OPERANDI PROPOSER ?

Chronologiquement, le notaire élabore la convention, la fait signer aux parties dont il recueille la déclaration conjointe ; puis il procède à son enregistrement et à sa publicité.

Reprenons chacune de ces phases :

  • LA RÉDACTION DE LA CONVENTION DE PACS :
Même si un rendez-vous à l’étude avec les clients est naturellement préférable, rien n’empêche le notaire de les conseiller et de discuter du contenu de la convention à la faveur de discussions téléphoniques ou d’un échange de mails. Rien n’empêche que les documents nécessaires au contrat, de sorte à vérifier que les conditions de fond sont réunies, soient également obtenus par mail.
  • LA SIGNATURE DE LA CONVENTION :
Le notaire rédacteur peut ensuite envoyer la convention de Pacs par mail, afin que les futurs partenaires puissent l’examiner, l’imprimer, la signer, la scanner et la lui retourner, étant observé que des services dits « de confiance numérique » peuvent certifier la signature numérique ainsi que l’authenticité et l’intégrité de documents dématérialisés.
  • LA DÉCLARATION CONJOINTE :
À cet égard la difficulté est patente car, comme indiqué précédemment, « les partenaires doivent se présenter en personne et ensemble » (Circ. préc., p.8). Mais, outre qu’il ne s’agit pas d’une prescription légale, il nous semble qu’aucun argument juridique ne s’opposerait à un échange par visioconférence. Si le notaire peut voir ses clients ensemble par skype, il peut s’assurer de leur présence physique simultanée, de leur identité et de la réalité de leurs consentements respectifs. Puis, il peut recueillir leur déclaration conjointe.
Au soutien de ce procédé, on peut noter que l’ordonnance n°2020-304 du 25 mars 2020 (J.O. du 26), relative aux règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale, témoigne de la faveur gouvernementale pour le recours aux nouveaux modes de communication. Ainsi son article 7 admet-il (notamment) qu’une audience puisse se tenir en utilisant « un moyen de télécommunication audiovisuelle permettant de s’assurer de l’identité des parties et garantissant la qualité de la transmission et la confidentialité des échanges… ».
  • L’ENREGISTREMENT ET LA PUBLICITÉ DU PACS :

Ils peuvent être effectués par le notaire seul dans son étude. Le Pacs prendra effet entre les parties, puis deviendra opposable aux tiers (C. civ., art.515-3-1, al.2).

En conclusion, la période actuelle de confinement empêche les futurs partenaires de se rendre dans une étude notariale pour passer un Pacs authentique et semble légitimer le notaire de ne pas se déplacer, quelles que soient les circonstances. Toutefois, le recours aux nouvelles technologies devrait permettre la conclusion et l’enregistrement d’une convention de Pacs « à distance » en toute hypothèse, sans risque pour la santé des personnes concernées.

JOËLLE VASSAUX
(CONSULTANTE ASSOCIÉE AU CRIDON NORD-EST)