Prévoir que le bail rural pourra s’exécuter entre les mains de plusieurs preneurs fait aujourd’hui figure de récurrence. Le rédacteur est en effet de plus en plus sollicité pour unir par le bail des époux, des frères, voire l’agriculteur avec lui-même lorsque, en tant que personne physique, il s’allie à la société dans laquelle il est unique associé. Alors que la coprise à bail était traditionnellement vue comme protectrice des fermiers, chacun bénéficiant d’un droit personnel dans ce contrat indivisible, un arrêt récent rebat les cartes (Cass. 3ème civ., 4 mars 2021, n° 20-14.141, inédit).
La loi d’avenir agricole de 2014 (loi n° 2014-1170, 13 oct. 2014), tenant compte de l’essor des baux à partenaires multiples, a aménagé le statut du fermage en cas de départ de l’un d’eux en ces termes :
« Lorsqu’un des copreneurs du bail cesse de participer à l’exploitation du bien loué, le copreneur qui continue à exploiter dispose de trois mois à compter de cette cessation pour demander au bailleur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception que le bail se poursuive à son seul nom. Le propriétaire ne peut s’y opposer qu’en saisissant dans un délai fixé par décret le tribunal paritaire, qui statue alors sur la demande [ce délai étant de deux mois « à compter de la notification au propriétaire de la lettre recommandée », art. D 411-9-12-3]. Le présent alinéa est applicable aux baux conclus depuis plus de trois ans, sauf si la cessation d’activité du copreneur est due à un cas de force majeure » (C. rur., art. L. 411-35 al. 3).
Cette disposition offre une solution au fermier se retrouvant seul à mettre en valeur les biens loués pour récupérer le bail à son nom, après le départ de son copreneur. Aussi semblait-elle issue de la volonté législative de protéger cet exploitant effectif de toute ingérence future de son ancien « associé de culture » démissionnaire, susceptible sinon de conserver un pouvoir de contrôle voire de nuisance. On note d’ailleurs que ce dernier ne peut ni « prétendre à l’attribution exclusive du bail » ni s’opposer à la demande formulée en ce sens par le fermier continuateur (texte, in fine ; V. aussi Cass. 3e civ., 7 sept. 2017, n° 16-15.028).
La Cour de cassation a toutefois teinté cette mesure d’une coloration inattendue. Elle considère en effet, au contraire, que le silence de l’agriculteur resté en place quant au départ de son copreneur constitue une contravention aux dispositions de l’article L. 411-35 du code rural justifiant la résiliation judiciaire du bail fondée sur le seul article ouvrant cette possibilité, l’article L. 411-31 du même code. Elle retient que « le défaut d’accomplissement de l’obligation d’information du propriétaire, en cas de cessation d’activité de l’un des copreneurs, constitue un manquement aux obligations nées du bail et une violation du texte précité ». Ainsi, « c’est sans méconnaître l’objet du litige ni violer le principe de la contradiction (que la Cour d’appel) en a exactement déduit que la résiliation du bail constituait la sanction d’une telle omission » et qu’elle « a pu prononcer la résiliation aux torts des trois preneurs ». Elle ajoute que « la connaissance de ce départ par les bailleurs était sans incidence, ceux-ci n’étant pas tenus, par ailleurs, de démontrer un préjudice, ni une atteinte à la bonne exploitation du fonds ».
La portée pratique de cette décision est immense. Même si l’arrêt n’a pas reçu les honneurs de la publication, comment ne pas y voir un boulevard s’ouvrant devant les nombreux bailleurs qui ont consenti un contrat à plusieurs titulaires, sachant que certains cherchent désespérément à récupérer la jouissance de leurs terres ?
Cette décision est d’autant plus lourde que le preneur restant ne dispose que de trois mois pour s’acquitter de cette formalité. Qu’advient-il une fois ce délai expiré : le preneur perd-il définitivement le droit de remplir son devoir, qualifié « d’information » par les juges de cassation, à l’égard du bailleur, ou une régularisation est-elle toujours permise tant que ce dernier n’a pas agi sur ce fondement ? Qu’en est-il également de tous ces baux conclus « fictivement » aux deux époux ou à une fratrie dont l’un n’est quasiment jamais venu fouler la terre louée, le procédé ayant été mis en œuvre uniquement pour évaluer le bien comme occupé en cas de partage (C. civ. 1ère, 6 nov. 2013, n° 12-27.074 ; Cass. 1ère Civ., 21 nov. 1995, n° 93-17.719) ou pour maintenir une égalité sur le papier entre un frère et sa sœur ? Seul le contentieux futur permettra d’éclairer parties et praticiens sur la portée concrète de cet arrêt, non publié, qui invite à la vigilance.
POINT PRATIQUE :
STÉPHANIE DE LOS ANGELES
(CONSULTANTE AU CRIDON NORD-EST)