QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES DE LA CRISE SANITAIRE SUR LA PROCÉDURE DE CHANGEMENT DE RÉGIME MATRIMONIAL ?
1 – QUEL DÉLAI POUR FORMER OPPOSITION AU CHANGEMENT DE RÉGIME ?
L’article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020 prévoit un mécanisme de report du terme ou de l’échéance pour « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période » juridiquement protégée, soit entre le 12 mars 2020 et le 24 juin (si l’on postule que le 24 mai marquera la fin de l’état d’urgence sanitaire, ce qui n’est pas absolument certain). De plus, il « sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois » (donc au plus tard au 24 août 2020).
Toutefois, compte tenu des difficultés d’interprétation engendrées par ce texte, l’ordonnance du 15 avril a ajouté un alinéa à cet article 2 pour exclure expressément du champ d’application de celui-ci les « délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement… ».
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Quid du délai de trois mois pour former opposition à un changement de régime matrimonial ?
En premier lieu, il paraît certain que si le terme de ce délai est échu avant le 12 mars 2020 ou fixé après le 24 juin 2020, il échappe au champ de l’article 2 (Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période- JO du 26 mars). Les personnes susceptibles de s’opposer au changement de régime matrimonial disposent alors du délai « fixe » de trois mois.
En second lieu, si le délai d’opposition arrive à échéance entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 à minuit (Cf : Circulaire du 17/4/2020, n° CIV/03/20), plusieurs arguments militent en faveur de l’application de cet article 2. Tout d’abord, l’énumération volontairement extensive, tant des démarches visées que de leurs sanctions, invite à considérer que le fait de former opposition constitue une « formalité » ou une « notification » (Cf : CPC, art.1300-1) « prescrite par la loi », à peine de « déchéance d’un droit » ( à l’expiration du délai de trois mois, le droit de s’opposer est perdu). Ensuite, le nouvel alinéa précité liste tous les délais exclus du domaine d’application de l’article 2 : ne pourrait-on en déduire a contrario que les délais non expressément visés peuvent être prorogés ? Enfin, même si comparaison n’est pas raison, on relèvera que, dans le cadre d’une mutation à titre onéreux, le délai de quinze jours offert au syndic pour s’opposer au versement des fonds au profit du vendeur (article 20 de la loi du 11 juillet 1965), est analysé comme entrant dans le champ d’application de l’article 2 (FAQ du CSN, actualisée au 17 avril 2020, p. 26). Par analogie, la prorogation devrait s’appliquer à tout délai d’opposition, compte tenu de sa nature.
Au final, même s’il est risqué de déterminer les incidences, sur la procédure de changement de régime, de textes adoptés dans le but de limiter les freins à la relance économique (!), il nous semble raisonnable d’appliquer l’article 2. En conséquence, lorsque le délai étudié arrive normalement à échéance entre le 12 mars et le 23 juin à minuit, sa prorogation lui permet de « repartir à zéro » le 24 juin, et cela jusqu’au 24 août.
Cependant, permettre ainsi aux enfants majeurs et aux créanciers des époux de former opposition jusqu’au 24 août 2020 peut constituer une faveur inopportune lorsque l’un des époux est mourant, circonstance qui a peut-être précisément justifié un changement de régime à la hâte. L’intérêt des époux est alors de sécuriser au plus vite leur nouvelle convention matrimoniale. Afin de répondre à ce légitime souhait, pourrait-on faire renoncer les intéressés au bénéfice de l’allongement de leur délai d’opposition ?
2 – LA RENONCIATION À LA PROROGATION DE DÉLAI
A la réflexion, aucun obstacle juridique ne semble s’opposer à une telle renonciation. De plus, l’esprit de ces textes adoptés dans l’urgence n’est sûrement pas d’obliger les sujets de droit à profiter de la faveur accordée. Dès lors que le délai de trois mois (qui est incompressible) est écoulé, les personnes qui pourraient s’opposer au changement de régime jusqu’au 24 août 2020, peuvent renoncer expressément à bénéficier de ce report de date. Bien sûr, le notaire doit alors se ménager la preuve de cette renonciation, ainsi lors de l’établissement du certificat de non-opposition.
Exemple : les enfants majeurs ont reçu la notification du changement de régime matrimonial le 10 février 2020. En principe, ils auraient jusqu’au 10 mai pour s’opposer. Or, le délai expire pendant la période juridiquement protégée. En conséquence, en application de l’art. 2, ils pourraient s’opposer jusqu’au 24 août. Mais, à compter du 10 mai inclus, ils pourraient renoncer à invoquer la prorogation.
MATHILDE LIVOIR &
JOËLLE VASSAUX
(CONSULTANTES AU CRIDON NORD-EST)