FlashsL’exonération Dutreil n’est pas conditionnée au maintien du rôle d’animation joué par la holding jusqu’au terme des engagement fiscaux

Dans un arrêt du 25 mai 2022, la Cour de cassation infirme la doctrine administrative et énonce qu’en jugeant que la cessation par la holding de sa fonction d’animatrice de groupe avant l’expiration du délai légal de conservation des parts rend la transmission de ces parts inéligible à l’exonération partielle, une cour d’appel, ajoute à la loi une condition qu’elle ne comporte pas, et viole l’article 787 B du CGI.

Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt destiné à être publié au Bulletin (C. cass. com. 25 mai 2022, n° 19-25.513), une fille avait reçu dans la succession de sa mère la nue-propriété de parts sociales d’une société holding animatrice de son groupe sous le bénéfice de l’exonération « Dutreil » (CGI, art. 787 B).

Rapidement, la holding céda la plupart des participations qu’elle détenait dans les filiales constituant son groupe, sans remployer les prix de cession dans l’acquisition de nouvelles participations animées.  18 mois après le décès, elle ne possédait plus qu’une des sept participations majoritaires dans les sociétés commerciales détenues au décès, les titres cédés représentant 83 % du chiffre d’affaires global du groupe.

L’administration fiscale remit en cause l’exonération partielle au motif que suite à ces cessions, la holding exerçait une activité purement financière.

Dans un arrêt ayant été commenté (V. J-J. Lubin, JCPN n° 42, 18 octobre 2019, act. 813), la Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, 8 octobre 2019, n° 17/08339) valida cette proposition de rectification.

Selon elle, s’agissant d’une société holding, le bénéfice de l’avantage fiscal ne pouvait se concevoir, au regard de l’objectif fixé par le législateur, que si la société conservait, pendant la durée exigée, sa fonction d’animation d’un groupe formé de filiales, lesquelles doivent, sauf circonstances indépendantes de leur volonté, conserver une activité économique. La Cour d’appel en déduisit que l’administration fiscale était fondée à soutenir que la perte par la société holding de sa fonction d’animatrice de groupe avant l’expiration du délai légal de conservation des parts rendait la transmission de ces parts inéligible à l’exonération partielle, faute de satisfaire aux conditions légales.

Cet arrêt est sèchement censuré par la Cour de cassation : en statuant ainsi, la Cour d’appel ajoute à la loi une condition qu’elle ne comporte pas et viole l’article 787 B du CGI

On doit voir dans cet arrêt un rappel ferme adressé à l’administration fiscale qui a pris pour habitude s’agissant de ce dispositif de retenir des analyses contestables rajoutant des exigences n’étant pas prévues par les textes, ce qui lui a déjà valu de voir sa doctrine invalidée par les juridictions suprêmes de l’ordre judiciaire (Cass. com., 10 septembre 2013, n° 12-21140, Bull. 2013 IV, n° 129) et administratif (CE, 8ème et 3ème ch. réunies, 23 janvier 2020, n° 435562, Juris-Data n° 2020-000737).

L’arrêt du 25 mai 2022 reprend quasiment mot pour mot les motifs d’une précédente décision, elle aussi publiée au bulletin, rendue sur le même fondement à l’égard du régime applicable aux entreprises individuelles et dont l’administration n’a toujours pas intégré l’exacte portée dans sa doctrine (V. F. Fruleux, JC Enr. Traité, V° Successions, fasc. 68, n°31).

Le message est clair : l’administration doit s’en tenir aux exigences légales. Elle ne peut pas conditionner le bénéfice du régime de faveur à des conditions qui ne sont pas énoncées par le texte. Les décisions de juridictions du fond qui la suivraient sur ce terrain sont vouées à la censure.

La Cour de cassation infirme nettement la doctrine administrative qui subordonne le régime de faveur à l’exercice à titre principal par la holding d’une activité d’animation de son groupe jusqu’à la fin de l’engagement individuel ; le bofip-impôts énonçant que : « La condition du caractère de holding animatrice d’une holding de groupe (…) doit être remplie jusqu’au terme des engagements collectif, le cas échéant unilatéral, et individuel de conservation»  (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 55).

Concernant la cessation post-transmission du rôle d’animation, la solution énoncée nous semble transposable à la phase d’engagement collectif précédant la transmission, le texte n’énonçant pas davantage d’exigence à ce titre.

Sur ce second point, l’arrêt contredit également les indications du bofip-impôts qui précisent que le rôle d’animation doit être exercé « au moment de la conclusion du pacte « Dutreil » (BOI, préc.) ».

La portée de cette décision pourrait d’ailleurs être bien plus vaste, puisque, plus généralement, le texte n’énonce pas formellement de condition de maintien de l’activité opérationnelle éligible jusqu’au terme des engagement fiscaux.

Le praticien peut-il pour autant conseiller ce type de schémas et inférer de cette décision que la cessation de l’animation et la réallocation de la fonction de la holding vers une activité financière ou patrimoniale une fois la transmission réalisée est sans risque et n’expose pas le successeur ou donataire à un risque de remise en cause du régime de faveur ?

Nous ne le pensons pas. Même si en l’espèce la Cour de cassation fait fi de cette approche téléologique, l’exonération Dutreil aspire à assurer la pérennité de l’entreprise qui s’entend ici d’une entité exerçant une activité économique éligible.

La simple conservation des titres d’une société qui aurait cédé ses actifs d’exploitation et exercerait une activité patrimoniale qui n’aurait pas pu bénéficier du régime de faveur lors de la transmission est inapte à atteindre cet objectif.

On peut donc s’attendre à ce qu’à l’instar de sa dernière intervention relative au régime de l’interposition, le législateur intervienne pour prévenir tout risque de détournement de ce régime de faveur dont l’utilité économique est éprouvée, en procédant à une énième modification du texte.

En l’état, le praticien conservera à l’esprit que, par définition, l’absence de condition objective imposée par le texte quant au maintien de l’animation ou de l’activité consacrée par la Cour de cassation n’immunise nullement le contribuable contre contentieux qui serait placé sur le terrain du dévoiement du régime de faveur et dont l’issue apparait bien incertaine…

FRANÇOIS FRULEUX
(CONSULTANT AU CRIDON NORD-EST
MAITRE DE CONFÉRENCES ASSOCIÉ À L’UNIVERSITÉ PARIS-DAUPHINE
)