FlashsEXONÉRATION DUTREIL : RÉFORME DU FAMILY BUY OUT, UNE PREMIÈRE PRISE DE POSITION DE L’ADMINISTRATION FISCALE

Une réponse ministérielle publiée le 3 septembre 2020 (Rép. min. n° 6410 : JO Sénat 3 sept. 2020, p. 3895) fournit de premières indications concernant les conditions que doit remplir la holding bénéficiaire de l’apport pour assurer le maintien de l’exonération Dutreil en vertu du f de l’article 787 B du CGI dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2019.

La réponse ministérielle Patriat illustre les difficultés qu’éprouve l’Administration à suivre l’évolution frénétique de la législation fiscale. Elle concerne l’exonération Dutreil dont la dernière réforme qui suscite de nombreuses interrogations n’a toujours pas été commentée par les services de Bercy plus d’un an et demi après son entrée en vigueur. L’Administration a pris un train de sénateur pour y répondre, plus de deux ans après qu’elle a été posée. À un tel rythme, la législation avait immanquablement changé entre temps. C’est paradoxalement dans cette circonstance exogène plus que dans la réponse apportée que se situe l’intérêt de cette doctrine administrative.

La question posée portait sur la réalisation d’un family buy out (FBO). Par donation-partage ayant bénéficié de l’exonération Dutreil, deux enfants s’étaient vu attribuer des titres d’une société holding animatrice à charge de verser une soulte à un troisième donataire.  Ils souhaitaient apporter les titres ayant bénéficié de l’exonération à une holding avant l’expiration de l’engagement individuel de conservation, dans les conditions prévues au f de l’article 787 B du CGI, en transférant la charge du paiement de la soulte à la société bénéficiaire de l’apport, aux termes d’un apport mixte. L’interrogation résidait dans la possibilité pour chacun des deux enfants de constituer une holding distincte. Autrement dit, le texte prévoyant le maintien de l’exonération imposait-il aux donataires d’apporter leurs titres à une holding commune pour conserver le régime de faveur ?

Après avoir rappelé que le f de l’article 787 B du CGI a depuis lors été réformé par la loi de finances pour 2019 pour permettre notamment de réaliser l’apport en période d’engagement collectif et de le faire porter sur des titres d’une société interposée dans la limite d’un seul degré d’interposition, le ministre précise qu’il n’impose pas aux donataires d’apporter leurs titres à une même holding.

La circonstance que les apporteurs apportent chacun les parts ou actions reçues à une holding distincte ne fait pas en elle-même obstacle au maintien de l’exonération, sous réserve que les apporteurs et sociétés bénéficiaires des apports, respectent l’ensemble des conditions requises.

Le ministre ne fait ici que réitérer la doctrine administrative reprise au BOFiP-Impôt qui énonce clairement que l’assouplissement prévu au f de l’article 787 B du CGI s’applique également lorsque l’apport n’est pas réalisé par l’ensemble des bénéficiaires de la transmission à titre gratuit (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20, §120).

L’inverse est également possible : la société bénéficiaire de l’apport peut aussi regrouper des héritiers, donataires ou légataires de plusieurs souscripteurs de l’engagement collectif de conservation, sous réserve du respect de l’ensemble des conditions prévues au f de l’article 787 B du CGI (ibid.).

La réponse confirme que ce tempérament est toujours d’actualité, nonobstant la réforme entrée en vigueur depuis lors, ce qui n’était guère douteux, aucune modification n’étant survenue sur ce point.

Son réel apport se situe ailleurs. Il est dilué dans la contextualisation qui, précédant la réponse, évoque la réforme opérée par la loi de finances pour 2019. Parmi les conditions requises par la nouvelle rédaction du dispositif, le ministre précise que « l’apport n’emporte pas rupture de l’engagement de conservation sous réserve, notamment (…) que les bénéficiaires de l’exonération en détiennent au moins les 75 % du capital et des droits de vote et que l’un d’entre eux en assure la direction ». Ce faisant, il tranche implicitement dans le sens le plus restrictif la question de l’identification des personnes devant détenir jusqu’à la fin des engagements fiscaux au moins les 75 % du capital et des droits de vote de la société bénéficiaire de l’apport et pouvant en assurer la direction.

Seuls les bénéficiaires de la transmission, c’est à dire les signataires de l’engagement collectif et de l’engagement individuel sont concernés suivant cette lecture, à l’exclusion des signataires de l’engagement collectif qui n’auraient pas souscrit l’engagement individuel de conservation.  Partant, le donateur ne pourrait pas non plus remplir l’exigence relative à l’exercice de la direction de la holding. Cette dernière devrait nécessairement être assurée jusqu’à la fin des engagements collectif et individuel de conservation par un ou plusieurs bénéficiaires de la transmission.

La rédaction très maladroite retenue par le législateur, soulignée dès la présentation du projet de loi (V. Fr. Fruleux, PLF 2019 : Régime Dutreil et transmissions à titre gratuit, principaux ajouts résultant de l’adoption en première lecture par les députés : JCP N 2018, n° 51-52, act. 953) avait engendré de sérieux doutes à ce sujet (V. Fr. Fruleux, La réforme de l’exonération Dutreil : nouvelles possibilités, mise en œuvre et points à clarifier : JCP N 2019, n° 4, 1087).

Une telle interprétation durcit assurément dans certaines hypothèses les conditions requises.  Le parlementaire rappelait dans sa question que sous l’empire des dispositions antérieures, le donateur pouvait détenir dans le capital de la société holding une participation – pouvant excéder 25 % – pourvu qu’elle restât minoritaire.

On suivra donc avec une attention particulière les indications que fournira l’Administration concernant l’application dans le temps de cette nouvelle exigence. Un tempérament semble indispensable, le II de l’article 40 de la loi de finances conduisant à appliquer la nouvelle rédaction du f de l’article 787 B à compter du 1er janvier 2019, même aux opérations réalisées avant cette date, ce que confirment les travaux parlementaires (L. fin. pour 2020, art. 40 : « II. – Le I [contenant la réécriture du paragraphe f] s’applique à compter du 1er janvier 2019 »).

S’agissant de l’actif de la holding, le ministre précise que le maintien de l’exonération nécessite (lorsque la transmission porte sur des titres d’une société exerçant directement l’activité opérationnelle) que « l’actif brut de la société bénéficiaire de l’apport soit composé à plus de 50 % de participations dans la société soumises aux engagements de conservation ». Il reprend mot pour mot les termes du texte dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2019. On peine à percevoir les justifications économiques qui imposeraient une telle exigence, mais littéralement, la rédaction retenue conduit à apprécier ce seuil en ayant égard aux seuls titres ayant bénéficié de l’exonération lors de la transmission, à l’exclusion de ceux de la même société dont la holding bénéficiaire de l’apport aurait fait l’acquisition ultérieurement (V. également sur ce point, par F. Fabrega Digby-Smith et O. de Saint-Chaffray, Transmission d’entreprise. Nouveaux aménagements du pacte Dutreil : une clarification nécessaire : RFP 2019, éditorial 7). L’Administration devra clarifier ce point lors de sa mise à jour du BOFiP. Une interprétation aussi restrictive aboutirait là encore, paradoxalement, à durcir à cet égard les conditions requises. Sous l’empire des dispositions antérieures à la réforme de 2019, l’administration fiscale avait confirmé que la société bénéficiaire de l’apport pouvait acquérir d’autres parts ou actions de la société cible, sans que ce renforcement de la participation détenue dans la société cible emporte remise en cause de l’exonération partielle (Rép. min. Marini, n° 25654 : JOAN 15 févr. 2007, p. 338).

FRANÇOIS FRULEUX
(CONSULTANT AU CRIDON NORD-EST)

Rép. min. n° 6410 : JO Sénat 3 sept. 2020, p. 3895

Question. –
M François Patriat interroge M. le ministre de l’Action et des Comptes publics sur les modalités d’application des apports en phase d’engagement individuel du dispositif dit Dutreil (prévu au f de l’article 787 B du CGI). Aux termes du f de l’article 787 B du CGI, le régime de faveur du dispositif Dutreil prévu audit article n’est pas remis en cause lorsque le non-respect de l’engagement individuel de conservation résulte de l’apport – à titre pur et simple ou partiellement rémunéré par la prise en charge d’une soulte consécutive à un partage – des titres à une société holding dont l’objet unique est la gestion de son propre patrimoine constitué exclusivement de participations dans une ou plusieurs sociétés du même groupe que la société exploitante dont les titres ont été transmis et ayant une activité soit similaire, soit connexe et complémentaire, à condition que : la société holding soit détenue en totalité par les héritiers ou légataires (ou donataires) ayant souscrit l’engagement individuel de conservation. En cas de donation, le donateur peut toutefois détenir une participation minoritaire dans le capital de la société holding ; la société holding soit dirigée directement par un ou plusieurs des héritiers ou légataires (ou donataires) bénéficiaires de l’exonération ; la société holding ainsi que les héritiers ou légataires (ou donataires) prennent respectivement l’engagement de conserver les titres apportés et les titres reçus en contrepartie de l’apport jusqu’au terme de l’engagement individuel de conservation.Deux enfants sont attributaires dans une donation-partage, des titres d’une holding animatrice (éligible au dispositif Dutreil), à charge pour chacun d’eux de régler une soulte au troisième co-donataire, ce dernier ne recevant ainsi pas d’actions mais uniquement la soulte (la quote-part d’actions complémentaires étant attribuée à chacun des deux autres donataires débiteurs de la soulte). La soulte entre les deux premiers donataires n’est pas d’un montant équivalent, l’un recevant plus d’actions en provenance du lot théorique du troisième donataire qui ne se voit attribuer que la soulte. Le bénéfice du dispositif Dutreil et les abattements corrélatifs sont appliqués sur l’ensemble des lots composant la donation (lots d’actions pour les deux premiers enfants, et soulte pour le troisième enfant).Dans cette situation, il souhaiterait obtenir les précisions suivantes. Il lui demande si l’apport, par chacun des enfants, des titres reçus et de la soulte (passif), dans des holdings distinctes (répondant par ailleurs aux autres conditions rappelées ci-dessus prévues au f de l’article 787 B), remplit les conditions fixées par le f de l’article 787 B du CGI. Autrement dit, il lui demande si les enfants donataires sont obligés d’apporter leurs titres à une holding commune pour conserver le régime de faveur, ou s’ils peuvent le faire à leur propre société holding de manière séparée.
Réponse. –
Si le bénéfice de l’exonération de droits de mutation à titre gratuit dite Dutreil prévue à l’article 787 B du CGI est subordonné à une condition de conservation des titres de l’entreprise sur lesquels porte le pacte, le f de cet article dispose que cette condition ne s’oppose pas, sous certaines conditions, à ce que les héritiers, donataires ou légataires de ces titres les apportent en cours d’engagement de conservation individuel à une holding, cet apport pouvant être pur et simple ou partiellement rémunéré par la prise en charge d’une soulte consécutive à un partage. La loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019 a aménagé les conditions d’application de cette dérogation et l’étend aux apports en période d’engagement collectif. Elle a par ailleurs admis que cette dérogation s’applique, sous les mêmes conditions, à l’apport de titres d’une société possédant directement une participation dans l’entreprise dont les titres font l’objet de l’engagement de conservation. Aux termes de ces dispositions, l’apport n’emporte pas rupture de l’engagement de conservation sous réserve, notamment, que l’actif brut de la société bénéficiaire de l’apport soit composé à plus de 50 % de participations dans la société soumises aux engagements de conservation, que les bénéficiaires de l’exonération en détiennent au moins les 75 % du capital et des droits de vote et que l’un d’entre eux en assure la direction. En outre, la société bénéficiaire de l’apport et les apporteurs doivent conserver respectivement les titres apportés et les parts reçues en échange de l’apport jusqu’au terme des engagements de conservation. En cas d’apport de titres d’une société possédant directement une participation dans l’entreprise faisant l’objet du « pacte Dutreil », l’actif brut de la société bénéficiaire de l’apport doit être composé à plus de 50 % de participations directes, ou indirectes avec un niveau d’interposition au plus, soumises aux obligations de conservation et la société bénéficiaire de l’apport doit s’engager à conserver ces participations jusqu’au terme des engagements de conservation. Les héritiers, donataires ou légataires associés de la société bénéficiaire des apports doivent conserver, pendant cette même durée, les titres reçus en contrepartie de l’apport. La circonstance que les apporteurs apportent chacun à une holding distincte ne fait pas en elle-même a priori obstacle à l’application de cette dérogation sous réserve que chacun des apporteurs et chacune des sociétés bénéficiaires des apports, pris isolément, respectent l’ensemble des conditions précitées. Par ailleurs, dans le cadre d’une donation-partage de titres réalisée avec stipulation d’une soulte, la doctrine administrative publiée sous la référence BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, § 340 précise que la liquidation des droits de mutation à titre gratuit est effectuée en fonction des droits théoriques de chaque donataire dans la masse transmise et à partager. Cela étant, l’engagement individuel de conservation des titres doit être souscrit par le bénéficiaire effectif des titres. Enfin, dans la mesure où la demande vise une situation spécifique, l’Administration ne pourra se prononcer avec précision sur la situation de fait concernée qu’en présence d’une demande de rescrit comportant l’ensemble des circonstances de l’espèce.