L’arrêté ministériel pris annuellement pour ajuster les loyers agricoles vient de paraître (arr. du 16 juillet 2020, JO 19 juil. 2020 ; C. rur. pêch. maritim, art. L. 411-11, al. 4). Il entérine une nouvelle hausse, avec une « variation de l’indice national des fermages 2020 par rapport à l’année 2019 (…) de 0,55 % » (art. 4 de l’arr.). Cet indice s’appliquera dès le 1er octobre 2020 aux loyers des baux en cours portant sur des terres nues et des bâtiments d’exploitation agricole (en majorant le loyer 2019 de 0,55 % par l’opération suivante : loyer 2019 x 1,0055).
Si la hausse de l’an passé était trois fois plus importante (+ 1,66 %), sans doute ne faut-il pas voir le verre à moitié vide en ces temps confus. En 2019 déjà, les signes annonciateurs d’une récession mondiale étaient révélés et le Covid a encore bouleversé la donne. Un scenario économique sombre, tant les conditions de reprise paraissent incertaines, mais laissant transparaître un filet de lumière au détour des lectures agricoles : « Pour le seul mois d’avril 2020, les exportations françaises de céréales (hors riz) ont augmenté de près de 10%, le blé étant en première ligne avec des ventes à la Chine et à l’Algérie » (voir Analyses et Perspectives n°2010 ; « Export record pour le blé tricolore ! », Le Monde, 11 juil. 2020). Deux régions auraient également connu une baisse de leur activité économique moins prononcée par rapport aux autres régions, et surtout comparativement à la moyenne nationale : La Bretagne et les Pays de la Loire. La forte implantation des industries de la transformation alimentaire et de l’agriculture dans ces régions expliquerait leur moindre décrochage économique, à la sortie d’une période centrée sur la consommation de ces produits. Notons toutefois qu’un sondage IFOP pour le Fooding et Uber Eats montre que les plats ayant le plus manqué aux français dans l’ordre du top 5 sont : la pizza, les moules frites, le steak-frites, les crêpes/galettes et le plateau de fruits de mer (le burger apparaît en 9ème position) !
Dans cette bourrasque économique, notre statut du fermage reste pointé comme un outil juridique à réformer. Un rapport d’information parlementaire, paru cette semaine, dresse un bilan de ses insuffisances et déséquilibres mis en évidence par les auditions conduites auprès des plus éminents spécialistes de la matière (voir rapport d’information n°3233 sur le régime juridique des baux ruraux de l’assemblée nationale). Ce travail évoque « l’inadéquation partielle de ce régime juridique avec les défis auxquels l’agriculture française est confrontée » et, pour ne relever que ce point, rappelle que « 50 % des baux sont oraux, difficilement conciliables avec une économie du XXIème siècle ». Le nord de la France y est toutefois identifié comme comportant des exploitations plus grandes que la moyenne, souvent en sociétés et dont la rentabilité est plus importante. « Compte tenu des enjeux financiers plus élevés auxquels s’exposent bailleurs et fermiers en cas de conflit, les baux écrits y sont plus fréquents, tout comme le recours aux baux à long terme » (Point I. C. 1 du rapport). Serait-ce reconnaître, en filigrane, l’interdépendance entre l’écrit et l’économie du contrat ? Une évidence.
Ledit rapport donne lieu à dix-huit recommandations, dont la numéro 6 suggère de « repenser la fixation des indices du prix du fermage en redéfinissant les critères de calcul des barèmes, sans les déplafonner, ni modifier les équilibres existants ». Le rendement locatif brut moyen était de 2,71 % en 2018, accusant une baisse constante depuis 1999 (où il se situait à 4,5 %) mais ce taux est jugé « satisfaisant », restant supérieur à celui du livret A et du Plan épargne logement mais aussi « compte tenu du caractère peu risqué de ce type d’investissement ».
Cette dépression est justifiée par deux facteurs : « une hausse constante du prix des terres louées d’une part, et une augmentation plus modérée, voire une baisse, des loyers d’autre part ». Le caractère peu rémunérateur du bail rural résulterait également du coût de l’entretien du bâti pesant sur les propriétaires. Ce cumul d’éléments est en outre identifié comme favorisant la pratique pourtant prohibée des pas-de-porte.
Notons également que le recensement agricole, opération décennale européenne obligatoire, va s’ouvrir en octobre 2020 et s’étendre sur six mois (une grande partie de la collecte s’effectuera par Internet, sans enquêteur). L’actualisation des données relatives à l’agriculture française permettra de mesurer son poids dans l’Europe et de définir ou d’ajuster des politiques publiques à l’échelle nationale et locale.
Les états des lieux se succèdent, les recommandations s’additionnent. L’élaboration d’un statut revisité fait à nouveau couler l’encre. Reste la difficulté de restaurer un équilibre contractuel rompu pour le bailleur, tout en préservant une agriculture aujourd’hui contrainte. « Le rassurant de l’équilibre, c’est que rien ne bouge. Le vrai de l’équilibre, c’est qu’il suffit d’un souffle pour tout faire bouger » (J. Gracq, Le rivage des Syrtes).
STÉPHANIE DE LOS ANGELES
(CONSULTANTE AU CRIDON NORD-EST)