Les lecteurs de la presse people avaient été parmi les premiers informés du souhait gouvernemental de déposer un projet de loi confortant le respect des principes de la République (v. interview de Marlène SCHIAPPA, in Closer, 23 oct. 2020, p. 34). Ils avaient également pu lire les faveurs de la ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté pour les enfants biologiques de Johnny Halliday. On comprendra alors pourquoi ledit projet de loi présenté au Conseil des ministres du 9 décembre 2020 et déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale sous le numéro 3649 rectifié contient deux dispositions intéressant la réserve héréditaire.
Avec ce projet de loi, l’ambition du gouvernement est d’en « terminer avec l’impuissance face à ceux qui malmènent la cohésion nationale et la fraternité, face à ce qui méconnait la République et bafoue les exigences minimales de vie en société, conforter les principes républicains. » Parmi de nombreuses règles, le chapitre III du projet présente des dispositions destinées à protéger la dignité de la personne humaine.
On y découvre un article 13 visant à renforcer la protection des héritiers réservataires ! En premier lieu, l’article 913 du code civil serait « complété pour que tous les enfants héritiers légaux bénéficient de leurs droits sans qu’une distinction puisse être opérée sur des critères discriminatoires ». L’idée est de créer un nouveau droit de prélèvement compensatoire qui permettrait à tous les enfants omis par le défunt de récupérer sur les biens situés en France l’équivalent de leur réserve, dès lors que la loi étrangère applicable à la succession permet leur exhérédation. Ce droit de prélèvement jouerait si le défunt ou l’un des enfants est ressortissant d’un État membre de l’Union Européenne ou y réside au moment du décès. En second lieu, un nouvel alinéa serait inséré à l’article 921 du code civil pour assurer l’information des héritiers réservataires de leur droit à l’action en réduction. Le notaire aurait l’obligation d’informer précisément et individuellement les héritiers susceptibles d’être lésés par les libéralités effectuées par le défunt. L’objectif est « d’édicter une obligation d’information renforcée pour le notaire dont le but est de s’assurer que l’héritier fait un choix libre et éclairé, au moment d’exercer, ou de ne pas exercer, la réduction. »
Nonobstant l’étude d’impact ou l’avis du Conseil d’Etat, on ne peut qu’espérer l’abandon de ces deux dispositions lors des débats parlementaires. Le cinéphile et le musicien connaissent l’apprenti sorcier, le juriste doit alerter l’apprenti législateur.
En effet, les notaires ont un devoir de conseil qui les oblige à informer les héritiers réservataires de leur faculté d’action en réduction. Nul besoin de légiférer là-dessus. Les notaires informent depuis toujours systématiquement et parfaitement les descendants d’un défunt auteur de libéralités !
En outre, l’idée d’ériger la réserve héréditaire en principe d’ordre public international a été clairement écartée par la Cour de cassation (Civ. 1, 27 septembre 2017, n° 16-13151 et 16-17198), sans laisser pour autant les descendants dans le besoin. Il serait d’un autre temps de vouloir coûte que coûte qu’en France s’applique systématiquement la réserve héréditaire du droit français en vertu d’un ordre public international même de proximité ou d’une loi de police. Peu importe qu’un père artiste célèbre préfère la Californie à la France… Le temps du particularisme territorialiste est révolu. D’ailleurs, cette disposition remettrait clairement en cause le courant moderne favorable à l’autonomie de la volonté dans les rapports familiaux internationaux lequel est parfaitement consacré dans le Règlement n° 650/2012 sur les successions. Il faut évidemment lutter contre toutes les discriminations mais là où elles existent réellement.
DAVID BOULANGER
(DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CRIDON NORD-EST)