L’arrêt rendu par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation, en date du 3 décembre 2020 – pourvoi n° 19-22.191, invite à revenir sur la question de la notion de « destination du père de famille » en matière de servitude de passage et donc a priori de servitude discontinue.
Suivant cet arrêt, « La cour d’appel a relevé que, lors de la division des fonds, l’accès aux parcelles acquises par M. et Mme J… s’effectuait par le fonds conservé par les vendeurs et comprenant la parcelle devenue […] et que ce passage, situé dans le prolongement d’une servitude conventionnelle instituée par un acte de partage des 2 septembre 1975 et 2 avril 1976, constituait le seul accès possible en véhicule aux parcelles 3003 et 3004. Elle a souverainement retenu que ce passage constituait un signe apparent de servitude, non contredit par l’acte de vente du 11 mai 2000 ayant procédé à la division des fonds. Elle en a déduit, à bon droit, que M. et Mme J… bénéficiaient d’une servitude de passage par destination du père de famille sur la parcelle […].
En effet, dans la pratique notariale, on rencontre fréquemment des hypothèses dans lesquelles il semble exister un droit de passage au profit d’un fonds (dominant) au détriment d’un autre (servant) sans que n’existe aucun titre constitutif de la prétendue servitude.
Dans une telle hypothèse, l’existence d’une telle servitude de passage pourrait apparaître comme compromise.
D’une part, la servitude de passage, même apparente ne peut pas s’acquérir par prescription trentenaire. Selon les articles 690 et 691 du Code civil, « Les servitudes continues et apparentes s’acquièrent par titre, ou par la possession de trente ans » et « Les servitudes continues non apparentes, et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, ne peuvent s’établir que par titres (…) ». Or, la servitude de passage est une servitude discontinue au sens de l’article 688 du Code civil : « Les servitudes sont ou continues, ou discontinues (…). Les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l’homme pour être exercées : tels sont les droits de passage (…) ».
D’autre part, « Il n’y a destination du père de famille que lorsqu’il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au même propriétaire, et que c’est par lui que les choses ont été mises dans l’état duquel résulte la servitude » (C. civ., art. 693). Par ailleurs, selon l’article 692 du Code civil, « la destination du père de famille vaut titre à l’égard des servitudes continues et apparentes ».
Néanmoins, il faut tenir compte de l’appréciation jurisprudentielle relative à la conciliation des deux textes apparemment antagonistes [art. 692 préc. et art. 694 : « Si le propriétaire de deux héritages entre lesquels il existe un signe apparent de servitude, dispose de l’un des héritages sans que le contrat contienne aucune convention relative à la servitude, elle continue d’exister activement ou passivement en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné »].
De la sorte, deux hypothèses sont alors posées par la jurisprudence.
- Soit celui qui se prévaut de la servitude produit l’acte de séparation, par hypothèse muet sur la servitude prétendue : la présomption sur laquelle repose la règle de l’article 694 en ressort confortée et la loi se contente alors de la condition selon laquelle la servitude doit être apparente.
- Soit cet acte de séparation ne peut pas être produit : pour que la seule circonstance du maintien de l’état des choses antérieur puisse valoir preuve de l’intention de le conserver comme servitude, il faut alors qu’il s’agisse d’une situation qui ne peut s’expliquer par une simple tolérance. Cet état de choses doit donc être à la fois apparent et continu pour valoir servitude. Si le titre n’est pas présenté, on ne peut avoir la certitude qu’il n’exclut pas le maintien de l’état de fait litigieux (sur ces appréciations, v. F. Terré et Ph. Simler, Les biens, Dalloz 2018, n° 904).
THIERRY DUBAELE
(CONSULTANT ASSOCIÉ AU CRIDON NORD-EST)