Actu JuridiqueLES TRAVAUX RÉALISÉS PAR UN USUFRUITIER PEUVENT ÉVENTUELLEMENT ÊTRE UNE DONATION INDIRECTE

On sait qu’une libéralité se compose d’une part d’un élément matériel consistant dans l’enrichissement du bénéficiaire et un appauvrissement du disposant corrélatif et d’autre part de l’intention pour le disposant de procurer au gratifié cet enrichissement (M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, 2ème éd. 1957, T. V par A. Trasbot et Y. Loussouarn, § 17-2°, p. 22).

En revanche, l’élément formel bien que précieux peut parfois faire défaut. Par exemple, une donation indirecte « est une donation réalisée par un acte dont la seule apparence ne permet pas de dire s’il est à titre gratuit ou à titre onéreux » (M. Grimaldi, Libéralités-Partage d’ascendant, Litec 2000, § 1324, p. 248).

Par un arrêt du 23 octobre 2024, la Première Chambre civile de la Cour de cassation a l’occasion de rappeler que lorsqu’un usufruitier réalise des travaux d’améliorations importants sur l’immeuble « démembré », sans avoir la volonté de rentabiliser les investissements, l’opération peut éventuellement être requalifiée en donation indirecte, à condition qu’une intention libérale soit également révélée.

En l’espèce, une mère avait donné un immeuble à l’un de ses enfants, avec une réserve d’usufruit viager. Postérieurement à la donation immobilière, la mère avait ensuite entrepris d’importants travaux afin de rendre habitable une partie du bien donné à savoir un ancien logement de garde, resté longtemps désaffecté. L’usufruitière dépensa dans cette rénovation la « modique » somme de 660.498 € tant pour le gros-œuvre que pour divers aménagements (électricien, plombier, interphone, restauration de façade, éclairage, ravalement) et surtout sans tirer aucun bénéfice de ses investissements durant son droit de jouissance.

En l’occurrence, la Cour de cassation indique que « la réalisation par l’usufruitier de travaux d’amélioration valorisant le bien n’est pas exclusif d’un dépouillement dans une intention libérale, constitutifs d’une libéralité, peu important que ceux-ci soient légalement à sa charge ».

Au cas présent, nous ne développerons pas la notion de travaux légalement mis à la charge de l’usufruitier car elle nous semble accessoire. Simplement, dans leur appréciation souveraine, les juges du fond ont considéré que la mère usufruitière en réalisant des travaux de rénovation s’était appauvrie dans une intention libérale au profit de l’enfant nu-propriétaire.

Par suite, la Première Chambre civile confirme le raisonnement de la Cour d’Appel (CA Dijon, 3e ch.  civ., 30 juin 2022, n° 21/00527). Les travaux, sans aucun retour sur investissement, représentaient une donation indirecte soumise au rapport lors du partage successoral de la mère (C. civ., art. 843).

 

Philippe MAS
(CONSULTANT AU CRIDON NORD-EST)