Actu JuridiqueCONJOINT SURVIVANT GRATIFIÉ EN USUFRUIT : POUR PROCÉDER À L’IMPUTATION SUR LES DROITS LÉGAUX, IL FAUDRA DÉSORMAIS CONVERTIR !

S’il est aujourd’hui acquis que l’imputation des libéralités consenties au conjoint survivant sur ses droits légaux est la règle pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007 (C. civ. art. 758-6), la méthode pour procéder à cette imputation a fait l’objet de nombreux débats.

Lorsque le conjoint survivant a reçu une libéralité n’ayant pas la même nature que ses droits légaux, deux solutions sont envisageables : valorisation de l’usufruit ou imputation en assiette. Sous l’empire des textes antérieurs à la loi de 2001, la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 6 février 2001, avait été décidé que : « les libéralités consenties au conjoint survivant s’imputent sur l’usufruit légal et, non sur la valeur de biens en pleine propriété, fussent-ils l’assiette de l’usufruit » (Cass. civ. 1ère, 6 février 2001, D 2001 J 3566 note C. Aubert de Vincelles). La conversion de l’usufruit en pleine propriété était donc retenue. Cette position a été majoritairement maintenue au lendemain de la réforme du 23 juin 2006, également par le CRIDON Nord-Est. Puis, un arrêt rendu par la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation le 25 octobre 2017 (n° 17-10644) est venu modifier la lecture que la doctrine majoritaire pouvait faire de l’article 758-6 du Code civil en consacrant, selon nous, l’imputation en assiette des libéralités sur les droits légaux (V. notre Florilèges d’Automne 2018, Questions de droit successoral).

Dans cet arrêt, l’épouse survivante bénéficiait d’une donation de biens à venir de la plus large quotité offerte par la loi, outre son quart légal en pleine propriété. La Cour de cassation a considéré que « l’épouse bénéficiait de sa vocation légale, augmentée de la portion de la libéralité excédant cette vocation, dans la limite de la quotité disponible spéciale entre époux ». On remarquait toutefois que si l’imputation en assiette qui semblait consacrée par cette jurisprudence pouvait paraître opportune, la formulation utilisée dans cette décision était surprenante dans la mesure où les juges avaient semble-t-il inversé le schéma d’imputation prévu à l’article 758-6 du Code civil en ce sens qu’ils ont imputé les droits légaux sur la libéralité et non le contraire.

Cette décision a fait couler beaucoup d’encre et les auteurs n’ont pas été unanimes quant à sa portée et beaucoup l’ont purement et simplement écartée. Un arrêt rendu jeudi dernier (Cour de cassation – Première chambre civile – 17 janvier 2024 – n° 21-20.520) leur donne finalement raison. La Cour de cassation a en effet décidé, dans une affaire dans laquelle le conjoint survivant bénéficiait du quart en propriété et de legs tant en propriété qu’en usufruit que « pour la détermination des droits successoraux du conjoint survivant, en vue de faire une exacte appréciation de l’existence de la perte de chance, les legs consentis à Mme [M] devaient d’abord, non pas se cumuler, mais s’imputer en intégralité sur les droits légaux de celle-ci, de sorte qu’il y avait lieu de calculer la valeur totale de ces legs, en ajoutant à la valeur des droits légués en propriété celle, convertie en capital, des droits légués en usufruit, et de comparer le montant ainsi obtenu à la valeur de la propriété du quart des biens calculée selon les modalités prévues à l’article 758-5 du code civil… ».

On regrettera bien évidemment ce revirement, défavorable au conjoint survivant et illogique comparativement à la décision rendue le 22 juin 2022 (Cass. civ. 1ère, 22 juin 2022, n° 20-23215) consacrant l’imputation en assiette des libéralités en usufruit consenties à d’autres personnes que le conjoint lui-même.

On rappellera aux clients l’importance de se consentir une libéralité correctement rédigée à hauteur de ce dont ils souhaitent se gratifier afin de ne pas laisser une jurisprudence vacillante sceller le sort des droits du survivant.

Claire PEUBLE
(CONSULTANTE AU CRIDON NORD-EST)