D’évidence, la mise en application de l’ordonnance n° 2020-306 avait créé un certain émoi particulièrement chez les praticiens de l’immobilier et les constructeurs (Cf. not. Le Moniteur, 10 avril 2020). L’ordonnance modificative entend y répondre.
On se rappelle que l’ordonnance n° 2020-306 est applicable aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020. Cette période a été désignée avec l’expression : « période juridiquement protégée » (circulaire précitée).
L’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 a prévu un mécanisme de report du terme ou de l’échéance pour « tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période » juridiquement protégé. Il dispose qu’il « sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois. » Est ajouté que « il en est de même de tout paiement prescrit par la loi ou le règlement en vue de l’acquisition ou de la conservation d’un droit. »
On avait bien compris qu’il ne s’agit pas d’interdire d’accomplir l’acte ou la formalité concernée, mais d’éviter qu’une impossibilité, voire une difficulté, de le réaliser puisse être invoquée contre celui qui devait l’accomplir.
Cette analyse est confortée par le rapport au Président de la République, lequel accompagne l’ordonnance n° 2020-427. On y lit : « l’article 2 de cette ordonnance ne constitue ni une suspension, ni une prorogation du délai initialement imparti pour agir. Le mécanisme mis en œuvre par cet article permet simplement de considérer que l’acte ou la formalité réalisé jusqu’à la fin du délai initial, calculé à compter de la fin de la période visée à l’article 1er (état d’urgence sanitaire + un mois), dans la limite de deux mois, sera réputé valablement fait. Il s’agit de permettre d’accomplir a posteriori (et comme si le délai avait été respecté) ce qu’il a été impossible de faire pendant la période d’urgence sanitaire augmentée un mois. ».
Naturellement, ce qui devait être accompli avant le 12 mars 2020 n’est pas concerné, non plus ce qui arrivera à terme au-delà du mois suivant l’expiration de la cessation de l’état d’urgence sanitaire.
Mais, encore fallait-il s’entendre sur le champ d’application de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306. Sa détermination a suscité immédiatement des incertitudes et des controverses à propos de délais de source légale, mais directement liés à des rapports contractuels, tels que les délais de rétractation ou de réflexion qu’on rencontre notamment dans certaines ventes d’immeubles ou opérations de crédit. On pense spontanément aux délais de rétractation ou de réflexion des articles L. 271-1 du code de la construction et de l’habitation, L. 442-8 du code de l’urbanisme, L. 313-41 du code de la consommation, ou L. 313-34 du code de la consommation.
On pourrait ajouter le délai de réflexion des articles 229-1 et 229-4 du code civil, applicables au divorce par consentement mutuel.
Si l’exclusion de tout report pour un délai de réflexion était retenue par chacun, l’application de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 semblait littéralement devoir s’imposer aux délais de rétractation, ce qu’une large majorité de commentateurs avait aussi admis.
Pourtant, une modification de l’ordonnance 2020-306 ajoute un alinéa à l’article 2 : « le présent article n’est pas applicable aux délais de réflexion, de rétractation ou de renonciation prévus par la loi ou le règlement, ni aux délais prévus pour le remboursement de sommes d’argent en cas d’exercice de ces droits ».
Même, le rapport précité affirme que ces exclusions résultaient déjà du texte initial ! On y lit :
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Peut-être, mais on oserait penser qu’un délai de rétractation de source légale est prescrit par la loi, et que son expiration emporte déchéance du droit de se rétracter. Bref, ce n’est pas l’analyse du législateur…
Suivant sa logique, l’ordonnance indique que la modification a un caractère interprétatif, donc rétroactif. Le même rapport précise : « cet article 2 a un caractère interprétatif : il ne modifie pas la portée de l’article 2 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 mais explicite que depuis l’origine, celui-ci ne s’applique pas aux délais de réflexion et de rétractation. Dès lors, il a un caractère nécessairement rétroactif. »
On ne discutera pas de la justesse du contenu de cette dernière citation, ou de l’opportunité de la modification, ou encore de sa nature interprétative. Fait du prince pour qui « une lecture contraire aurait pour effet de paralyser nombre de transactions. » On ne retiendra que la règle qui en résulte, notamment :
L’acquéreur immobilier ou l’emprunteur immobilier ne peuvent pas et n’ont jamais pu invoquer un quelconque report ou renouvellement du point de départ de leur droit de rétractation ou de réflexion selon l’ordonnance n° 2020-306, modifiée.
Le débat est donc clos, ou presque…
Aucun délai de réflexion, de rétractation ou de renonciation qu’il soit de source légale ou, a fortiori, conventionnelle n’est affecté par l’effet de la période juridiquement protégée et de l’ordonnance n° 2020-306 dès lors qu’il est relatif à un consentement à un contrat.
Toutefois, on n’omettra pas que si le report du point de départ d’un droit de rétractation a été stipulé, par exemple dans un compromis de vente conclu depuis le 12 mars 2020, l’acquéreur pourra en bénéficier dans les conditions conventionnellement retenues. Invoquer une erreur de droit nous semblerait hasardeux.
En outre, écarter le report légal fait ressurgir la question de la suspension des délais par l’effet de la force majeure de l’article 1218 du code civil, même si on considérera que la pandémie et le confinement ne peuvent plus être invoqués comme constitutifs d’un tel événement au moins depuis le 12 mars 2020, voire quelques semaines avant cette date.
Afin d’éviter toute difficulté, il conviendra de bien vérifier avec chaque intéressé que les mesures prises pour lutter contre l’épidémie de Codiv-19 entre le 12 mars 2020 et la cessation de l’état d’urgence sanitaire ne feront pas obstacle à l’éventuel exercice de son droit de rétractation ou de sa renonciation.
DAVID BOULANGER
(DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CRIDON NORD-EST)