(loi de finances rectificative pour 2022 du 16 aout 2022, art. 8)
Faisant suite à l’important arrêt rendu par la Cour de cassation le 25 mai dernier, et comme on pouvait s’y attendre, la loi de finances rectificative pour 2022 retouche une nouvelle fois le régime d’exonération partielle Dutreil applicable aux transmissions à titre gratuit de parts sociales et d’actions (CGI, art. 787 B).
Exclusivement ciblée sur la brèche ouverte par cette jurisprudence, cette réforme « technique » ajoute une condition inhérente à la durée d’exercice de l’activité opérationnelle requise, variable suivant des modalités précises de mise en œuvre du régime de faveur.
La portée des nouvelles exigences est considérable, au point d’excéder parfois celles résultant de la doctrine administrative qu’elle est censée conforter.
Cette réforme est dotée d’une double rétroactivité dont la portée est, à bien y regarder, excessive et qui fait douter de sa conformité à la Constitution.
On pouvait observer que si elle est conforme à l’esprit du dispositif, l’affirmation de la doctrine administrative énonçant que l’exonération Dutreil (CGI, art. 787 B) est subordonnée à l’exercice par la société d’une activité éligible pendant toute la durée des engagements fiscaux (BOI-ENR-DMTG, 10-20-40-10, n° 10) ne peut s’appuyer sur aucune disposition expressément prévue par la loi imposant une telle condition (V. F. FRULEUX, J.-Cl. Enr. Traité, V°. Successions, fasc. 68-5, n° 52).
La Cour de cassation a confirmé ce point. Dans un arrêt publié au Bulletin rendu le 25 mai 2022 concernant une holding animatrice (Cass. com., 25 mai 2022, n° 19-25513, Dr. fisc. n° 28, 15 juillet 2022, comm. 280, note F. FRULEUX ; G. BONNET et C. VERNIERES, Pacte Dutreil : la perte par la holding de sa fonction d’animation avant que le terme des engagements de conservation ne remet pas en cause l’exonération, Defrénois DEF 208J6, p. 35), la Haute juridiction a censuré une Cour d’appel qui avait suivi l’administration fiscale sur ce terrain. Contredisant le Bofip impôts, la Cour de cassation précise que l’administration fiscale ne peut pas subordonner le bénéfice de ce régime de faveur à une telle exigence n’étant pas imposée par la loi. En l’espèce, la Cour d’appel a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas et violé l’article 787 B du CGI en énonçant que la perte par la société de sa fonction d’animatrice de groupes avant l’expiration des engagements fiscaux de conservation rendait la transmission inéligible à l’exonération partielle.
Eu égard à son fondement, cette décision rendue à propos d’une holding animatrice était transposable à l’ensemble des sociétés exerçant directement une activité éligible, c’est à dire à toutes les sociétés pouvant bénéficier directement du régime de faveur (V. F.FRULEUX, note précitée, Revue Droit fiscal, 15 juillet 2022) ce que confirment les travaux préparatoires de la loi de finances rectificative pour 2022 (exposé des motifs de l’amendement n° 730 déposé à l’assemblée nationale le 18 juillet 2022 par J.-R. CAZENEUVE, au nom de la Commission des finances, p. 2 ; Rapport J-F Husson, Doc. Sénat session extraordinaire de 2021-2022, n°846, p.179).
Cette décision est parfaitement fondée d’un point de vue juridique. Sa sévérité s’explique par la propension de l’administration fiscale, spécialement dans le cadre de ce régime de faveur, à prendre de grandes libertés avec les textes. Cette attitude a déjà à l’administration fiscale de voir à plusieurs reprises sa doctrine être censurée par les hautes juridictions administratives et judiciaires (V. F. FRULEUX, L’exonération Dutreil n’est pas conditionnée au maintien du rôle d’animation exercé par la holding jusqu’au terme des engagements de conservation : fondements, portée et préconisations, JCPN n° 27, 8 juillet 2022, 1193).
Pour autant, au fond, la solution retenue posait problème tant pour les sociétés holdings que pour celles exerçant directement l’activité éligible. Elle ne présentait pas les garanties suffisantes permettant d’atteindre l’objectif de pérennisation de l’entreprise poursuivi par ce régime de faveur.
Une intervention législative était donc souhaitable. Compte tenu de l’importance des enjeux, on pouvait pressentir qu’elle surviendrait rapidement (V. F. FRULEUX, art. préc., JCPN n° 27, 8 juillet 2022, n° 34).
C’est chose faite avec l’article 8 de la loi de finances rectificative pour 2022 (loi n° 2022-1157 du 16 août 2022, de finances rectificative pour 2022, JORF n° 0189 du 17 août 2022, texte n° 1) qui est doté d’une double rétroactivité.
Cette énième réforme du régime d’exonération partielle est très ciblée. Elle ne s’étend pas à d’autres points de faiblesse du régime de faveur afférents à son assiette qui ont pu être pointés (V. S. QUILICI, Exonération Dutreil : à trop tirer sur la corde…, Ingénierie patrimoniale n° 3-2022, juillet 2022-01). Cette simple « correction technique » (exposé des motifs de l’amendement n° 730, p. 1) insérée par voie d’amendement à l’initiative du Rapporteur général de la Commission des finances reste exclusivement centrée sur les difficultés suscitées par la jurisprudence précitée inhérentes à la durée durant laquelle l’activité éligible doit être exercée par la société dont les parts sociales ou actions ont bénéficié du régime de faveur lors de leur transmission.
La modification s’exprime par l’ajout à l’article 787 B du CGI déjà consistant et qui mériterait d’être condensé d’un nouveau paragraphe « c » bis énonçant que la condition d’exercice par la société d’une activité éligible doit être remplie dès la conclusion de l’engagement collectif de conservation et jusqu’au terme de l’engagement individuel.
Naturellement, l’activité exercée durant toute cette période n’est pas nécessairement identique. La société peut la modifier pourvu qu’elle demeure dans le périmètre de celles, opérationnelles, ouvrant droit au bénéfice de l’exonération partielle. La société peut également adjoindre une activité patrimoniale ou financière à son activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale pourvu qu’elle soit accessoire.
Toutes les sociétés sont concernées : celles qui exercent directement l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale requise et les sociétés holdings animatrices de leurs groupes ayant fait l’objet de la jurisprudence précitée qui leur sont assimilées par l’effet de la loi.
Le texte ne contient aucune disposition particulière concernant les transmissions de titres de sociétés interposées. Ces sociétés sont cependant également concernées par cette nouvelle exigence qui suivra les modalités propres de mise en œuvre de cette application indirecte de l’exonération partielle. Pour chaque société cible, l’activité éligible doit être exercée dès la conclusion de l’engagement collectif ouvrant aux associés de la société interposée en place le bénéfice indirect de l’exonération. Elle devra être poursuivie jusqu’à la fin de l’engagement individuel souscrit lors de la transmission par les donataires ou successeurs sur les titres détenus par le donateur ou le défunt. Par l’effet combiné des conditions ajoutées respectivement par la loi de finances pour 2019 et de finances rectificative pour 2022, une fois la transmission réalisée, la société interposée dont les titres ont été transmis doit donc conserver jusqu’à la fin de l’engagement individuel de conservation la participation qu’elle détient directement ou indirectement dans la société-cible exerçant l’activité éligible, cette activité devant être exercée par la société cible durant la même période. Ces exigences sont conformes aux objectifs poursuivis par le régime de faveur.
S’il ne traite pas particulièrement des sociétés interposées, le texte contient en revanche des dispositions spécifiques applicables aux engagements collectifs réputés acquis ou conclus post-mortem.
Trois situations doivent être distinguées :
Elle concerne également les sociétés holdings animatrices de leurs groupes, ce qui s’avère particulièrement contraignant pour ce type de sociétés. Elle implique en effet que la preuve du rôle continu d’animation joué par la société dont les titres sont transmis, soit rapportée durant toute la phase préparatoire à la transmission séparant la conclusion de l’engagement collectif et la donation ou le décès. Cette période peut recouvrir plusieurs années voire décennies, si comme le souhaite le législateur la transmission a été anticipée par la souscription d’un pacte d’associés conclu précocement.
Une telle preuve est intrinsèquement délicate, eu égard notamment à la condition de prépondérance des actifs détenus requise.
CONSEIL :
Ce constat conduit à recommander de renouveler périodiquement le ou les engagements collectifs souscrits sur les titres de la holding. Prenant le relais de l’engagement historique, le nouveau pacte d’associés dispensera les bénéficiaires de la transmission d’avoir à rapporter la preuve de l’animation effective sur une période trop longue.
En présence d’un engagement collectif réputé acquis, la condition d’exercice de l’activité éligible doit être satisfaite depuis deux ans au moins à la date de la transmission. Elle doit également le demeurer jusqu’à la fin de l’engagement individuel.
ATTENTION :
Ce constat conduit à recommander de renouveler périodiquement le ou les engagements collectifs souscrits sur les titres de la holding. Prenant le relais de l’engagement historique, le nouveau pacte d’associés dispensera les bénéficiaires de la transmission d’avoir à rapporter la preuve de l’animation effective sur une période trop longue.
Curieusement, les commentaires administratifs actualisés le 21 décembre 2021 précisent, s’agissant des holdings animatrices qu’en cas d’engagement réputé acquis, la condition du caractère de holding animatrice s’apprécie à la date de la transmission (BOI-ENR-DMTG, 10-20-40-10, 21 décembre 2021, n° 55) et non dans les deux années précédant la transmission, période durant laquelle, s’apprécient en principe les conditions requises.
Enfin, en présence d’un engagement collectif conclu par les successeurs post-mortem, la condition d’exercice de l’activité éligible s’apprécie à compter de la transmission, c’est-à-dire au jour du décès. Elle doit demeurer satisfaite jusqu’à la fin de l’engagement individuel.
L’administration fiscale ne fournissait aucune indication spécifique à ce sujet ni dans ses commentaires concernant l’activité exercée (BOI-ENR-DMTG, 10-20-40-10, n° 10 et s.), l’engagement collectif (BOI-ENR-DMTG, 10-20-40-10, 21 décembre 2021, n° 60 et s.) ni dans ceux afférents spécifiquement à ce type d’engagement (BOI-ENR-DMTG, 10-20-40-10, 21 décembre 2021, n° 220).
Pour autant, sur ce point, l’indication fournie par la loi de finances rectificative pour 2022 apparaît purement explétive. En application des règles de droit commun, dès lors que le texte précise que l’exonération porte sur des parts sociales ou actions d’une société exerçant une activité industrielle commerciale artisanale, agricole ou libérale, cette condition doit être remplie dès le décès, fait générateur de l’impôt même lorsque celui-ci survient par exception avant que l’engagement collectif soit conclu.
Même si l’administration fiscale n’était pas totalement dépourvue de moyens lui permettant de lutter contre ces agissements, notamment au titre de la répression de l’abus de droit fiscal, on pouvait craindre que l’arrêt du 25 mai 2022 et le durcissement prévisible du dispositif qu’il susciterait induisent un effet d’aubaine. La transmission pouvait être anticipée afin d’échapper aux nouvelles exigences légales. Plus radicalement, et pour une transmission déjà réalisée et étant encore en cours d’engagement, l’activité opérationnelle ou d’animation aurait pu être cessée ou réorientée prématurément.
Pour tenter de contenir au maximum ces agissements, la loi de finances rectificative pour 2022 dote la nouvelle exigence d’une double rétroactivité graduée dont la constitutionalité demeure incertaine.
La prise d’effets de la nouvelle condition insérée au « c » bis de l’article 787 B du CGI est fixée rétroactivement au 18 juillet 2022 correspondant au dépôt de l’amendement dont elle est issue (loi de finances rectificative pour 2022, art. 8 II).
Cette rétroactivité qui porte sur l’ensemble des nouvelles conditions imposées par le c) bis, y compris celles qui s’apprécient lors de la transmission, est toutefois excessive. Elle dépasse largement ce qui était nécessaire pour atteindre les objectifs que le législateur s’est assignés (Il aurait suffi que le texte imposât aux transmissions réalisées à compter du 18 juillet 2022 ou étant encore soumises à un engagement à cette date et pour lesquelles la société n’aurait pas déjà cessé d’exercer une activité éligible, de poursuivre celle-ci jusqu’au terme des engagements collectif et individuels de conservation).
– D’une part, toutes les transmissions réalisées à compter du 18 juillet 2022 se voient rétrospectivement soumises à la nouvelle condition.
Cette première rétroactivité est moins anodine qui n’y paraît de prime abord. Elle ne se limite pas à imposer pour les transmissions réalisées à compter de cette date, l’obligation de poursuivre l’activité éligible jusqu’à la fin des engagements fiscaux. Sa portée est plus étendue. Toutes les exigences imposées par le nouveau c) bis sont concernées, y compris celles requises dès la conclusion de l’engagement collectif. Cette rétroactivité permettrait ainsi de priver du bénéfice de l’exonération partielle une transmission ayant été réalisée à compter du 18 juillet 2022 en la soumettant rétroactivement à une condition d’exercice d’une activité éligible dès de stade de la conclusion du pate d’associés qui n’était pas requise lorsque la transmission a été réalisée et qui s’appréciait à la date du fait générateur de l’impôt, c’est-à-dire au décès ou lors de la réalisation de la donation.
Les travaux parlementaires confirment explicitement que, comme nous le pensions (F. FRULEUX, art. préc. JCPN n° 27, 8 juillet 2022, n° 17), l’absence de condition inhérente à l’exercice d’une activité éligible, faute d’exigence imposée par la rédaction initiale du texte, concerne également la phase préparatoire à la transmission, c’est-à-dire la période d’engagement collectif de conservation antérieure à la transmission : « alors que l’administration exige que cette condition soit vérifiée pendant toute la durée des engagements collectifs et individuels de conservation, la Cour de cassation par une décision rendue le 25 mai dernier (Cass.com., n° 19-25.513) a en effet jugé que faute d’une précision expresse contraire dans la loi, la condition d’exercice d’une activité éligible par la société cible devait s’apprécier à la seule date du fait générateur de l’impôt, et non pendant toute la durée des engagements de conservation » (exposé des motifs de l’amendement n° 730, p. 2 ; Dans le même sens, Doc. Sénat, préc. p. 179 : « Tel que rédigé, le dispositif vise les sociétés transmises et permet de préciser explicitement au sein de l’article 787 B du CGI, ce qui n’était pas le cas auparavant, que l’appréciation de l’exercice par ces sociétés d’une activité éligible s’apprécie bien tout au long des engagements de conservation collectif et individuels. » ). On peut douter de la constitutionnalité d’une telle rétroactivité qui permettrait de remettre en cause le bénéfice de l’exonération au motif que la société dont les titres ont été transmis n’a pas exercé continument une activité éligible (ou n’a pas joué continument un rôle d’animateur de son groupe de sociétés) durant toute la période d’engagement collectif de conservation précédant la transmission, alors que les travaux parlementaires confirment que cette condition n’était pas requise lorsque le décès est survenu ou la donation a été réalisée.
– D’autre part, la rétroactivité atteint des situations encore plus lointaines. Le « II » de l’article 8 de la loi de finances rectificative pour 2022 prévoit également que le nouveau « c » bis de l’article 787 B du CGI s’applique aux transmissions survenues avant même le 18 juillet 2022 dès lors qu’à cette même date l’engagement collectif ou individuel de conservation est en cours, à condition que la société n’ait pas déjà cessé à cette date d’exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
Le II de l’article 8 de la loi de finances précise en effet que les nouvelles exigences résultant du c) bis s’appliquent aux transmissions pour lesquelles au 18 juillet 2022, les conditions suivantes sont cumulativement remplies : 1° l’un des engagements collectif ou individuel de conservation est en cours ; 2° la société n’a pas cessé d’exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
La dernière condition est destinée à prévenir une censure par le Conseil Constitutionnel qui serait inéluctable si la rétroactivité emportait directement remise en cause de l’exonération partielle, à l’égard de sociétés qui auraient d’ores et déjà cessé d’exercer l’activité éligible lors de la présentation de l’amendement. On peut douter que cette précaution soit suffisante. Outre que de telles cessations d’activités ont pu survenir entre le 18 juillet 2022 et la publication de la loi, la voie empruntée par le législateur pour atténuer les effets produits par l’application rétroactive des nouvelles dispositions et éviter une censure par les sages de la rue de Montpensier est trop étroit. Le critère du maintien de l’activité au 18 juillet 2022 est inadéquat et inapte à atteindre l’objectif recherché. Il est insuffisant eu égard à la portée temporelle considérable des nouvelles exigences imposées par la loi de finance rectificative pour 2022 qui atteint des situations bien antérieures à la poursuite des engagements fiscaux de conservation et qui pour certaines s’apprécient dès avant la transmission (Ainsi, par exemple, dans le cadre d’une transmission par décès survenue en 2021, pour laquelle les engagements fiscaux de conservation sont toujours en cours au 18 juillet 2022, la société continuant d’exercer son activité éligible à cette date, l’exonération partielle pourrait être remise en cause nonobstant la poursuite de l’activité éligible et la conservation des titres jusqu’à la fin de l’engagement individuel de conservation au motif qu’en vertu du nouveau « c » bis de l’article 787 B du CGI, la condition d’exercice par la société de l’activité éligible n’a pas été satisfaite continument à compter de la conclusion de l’engagement collectif de conservation ; et ce, alors même que les travaux parlementaires confirment que cette condition n’était pas requise lors le décès constituant le fait générateur de l’impôt est survenu en 2021).
On doit y être d’autant plus attentif que les travaux parlementaires précisent explicitement que la rétroactivité mise en place par la loi de finances est destinée à permettre à l’administration fiscale de remettre en cause le bénéfice de l’exonération à l’égard de transmissions qui ne respecteraient pas les nouvelles exigences requises nonobstant la jurisprudence précitée (Doc. Sénat préc., p. 180, note 1) .
On peut, sur ce point également, douter de la conformité à la Constitution de cette seconde rétroactivité qui peut atteindre des transmissions réalisées avant le 18 juillet 2022 pour lesquelles la société dont les titres ont bénéficié de l’exonération partielle n’a pas cessé d’exercer une activité éligible à cette même date.
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu le loisir de se pencher sur cette question dans le cadre de sa décision rendue le 12 août 2022 (Décision 2022-842 DC du 2 août 2022) les griefs élevés contre la loi de finances rectificative n’étant pas orientés vers ces dispositions de la loi de finances. La question ne manquera pas de se poser dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (Constitution du 4 octobre 1958, art. 61-1) lorsque l’administration fiscale mettra en œuvre ces nouvelles dispositions.
FRANÇOIS FRULEUX
(CONSULTANT AU CRIDON NORD-EST
MAITRE DE CONFÉRENCES ASSOCIÉ À L’UNIVERSITÉ PARIS-DAUPHINE)
ANNEXES
Sont exonérées de droits de mutation à titre gratuit, à concurrence de 75 % de leur valeur, les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale transmises par décès, entre vifs ou, en pleine propriété, à un fonds de pérennité mentionné à l’article 177 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises si les conditions suivantes sont réunies :
a. Les parts ou les actions mentionnées ci-dessus doivent faire l’objet d’un engagement collectif de conservation d’une durée minimale de deux ans en cours au jour de la transmission, qui a été pris par le défunt ou le donateur, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, avec d’autres associés. Le présent engagement peut être pris par une personne seule, pour elle et ses ayants cause à titre gratuit, sous les mêmes conditions ;
Lorsque les parts ou actions transmises par décès n’ont pas fait l’objet d’un engagement collectif de conservation, un ou des héritiers ou légataires peuvent entre eux ou avec d’autres associés conclure dans les six mois qui suivent la transmission l’engagement prévu au premier alinéa ;
b.1. L’engagement collectif de conservation doit porter sur au moins 10 % des droits financiers et 20 % des droits de vote attachés aux titres émis par la société s’ils sont admis à la négociation sur un marché réglementé ou, à défaut, sur au moins 17 % des droits financiers et 34 % des droits de vote, y compris les parts ou actions transmises.
Ces pourcentages doivent être respectés tout au long de la durée de l’engagement collectif de conservation. Les associés de l’engagement collectif de conservation peuvent effectuer entre eux des cessions ou donations des titres soumis à l’engagement. Ils peuvent également admettre un nouvel associé dans l’engagement collectif à condition que cet engagement collectif soit reconduit pour une durée minimale de deux ans.
L’engagement collectif de conservation est opposable à l’administration à compter de la date de l’enregistrement de l’acte qui le constate. Dans le cas de titres admis à la négociation sur un marché réglementé, l’engagement collectif de conservation est soumis aux dispositions de l’article L. 233-11 du code de commerce.
2. L’engagement collectif de conservation est réputé acquis lorsque les parts ou actions détenues depuis deux ans au moins, directement ou indirectement dans les conditions prévues au 3 du présent b, par une personne physique seule ou avec son conjoint, le partenaire avec lequel elle est liée par un pacte civil de solidarité ou son concubin notoire atteignent les seuils prévus au premier alinéa du 1, sous réserve que cette personne ou son conjoint, le partenaire lié à elle par un pacte civil de solidarité ou son concubin notoire exerce depuis deux ans au moins dans la société concernée son activité professionnelle principale ou l’une des fonctions énumérées au 1° du 1 du III de l’article 975 lorsque la société est soumise à l’impôt sur les sociétés. En cas de détention indirecte, l’exonération partielle est accordée dans les proportions et sous les conditions prévues au 3 du présent b.
3. Pour le calcul des pourcentages prévus au premier alinéa du 1, il est tenu compte des titres détenus par une société possédant directement une participation dans la société dont les parts ou actions font l’objet de l’engagement collectif de conservation visé au a et auquel elle a souscrit.
La valeur des titres de cette société qui sont transmis bénéficie de l’exonération partielle à proportion de la valeur réelle de son actif brut qui correspond à la participation ayant fait l’objet de l’engagement collectif de conservation ;
L’exonération s’applique également lorsque la société détenue directement par le redevable possède une participation dans une société qui détient les titres de la société dont les parts ou actions font l’objet de l’engagement de conservation.
Dans cette hypothèse, l’exonération partielle est appliquée à la valeur des titres de la société détenus directement par le redevable, dans la limite de la fraction de la valeur réelle de l’actif brut de celle-ci représentative de la valeur de la participation indirecte ayant fait l’objet d’un engagement de conservation.
Le bénéfice de l’exonération partielle est subordonné à la condition que les participations soient conservées inchangées à chaque niveau d’interposition pendant toute la durée de l’engagement collectif. Toutefois, le bénéfice du régime de faveur n’est pas remis en cause en cas d’augmentation de la participation détenue par les sociétés interposées.
c. Chacun des héritiers, donataires ou légataires prend l’engagement dans la déclaration de succession ou l’acte de donation, pour lui et ses ayants cause à titre gratuit, de conserver les parts ou les actions transmises pendant une durée de quatre ans à compter de la date d’expiration du délai visé au a.
Le cas échéant, la société dont les titres sont transmis, qui possède directement ou indirectement dans les conditions prévues au 3 du b une participation dans la société dont les parts ou actions font l’objet de l’engagement collectif de conservation mentionné au a, doit conserver cette participation durant cette même période ;
c bis. La condition d’exercice par la société d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, prévue au premier alinéa du présent article, doit être satisfaite à compter de la conclusion de l’engagement de conservation prévu au premier alinéa du a et jusqu’au terme de l’engagement de conservation prévu au c. Par dérogation, cette condition doit être satisfaite, dans le cas prévu au second alinéa du a, à compter de la transmission des titres et, dans le cas prévu au 2 du b, depuis deux ans au moins à la date de cette transmission.
d. L’un des associés mentionnés au a ou l’un des héritiers, donataires ou légataires mentionnés au c exerce effectivement dans la société dont les parts ou actions font l’objet de l’engagement collectif de conservation, pendant la durée de l’engagement prévu au a et pendant les trois années qui suivent la date de la transmission, son activité professionnelle principale si celle-ci est une société de personnes visée aux articles 8 et 8 ter, ou l’une des fonctions énumérées au 1° du 1 du III de l’article 975 lorsque celle-ci est soumise à l’impôt sur les sociétés, de plein droit ou sur option ;
d bis. Les parts ou actions ne sont pas inscrites sur un compte PME innovation mentionné à l’article L. 221-32-4 du code monétaire et financier. Le non-respect de cette condition par l’un des signataires jusqu’au terme du délai mentionné au c entraîne la remise en cause de l’exonération partielle dont il a bénéficié ;
e. La déclaration de succession ou l’acte de donation doit être appuyée d’une attestation de la société dont les parts ou actions font l’objet de l’engagement collectif de conservation certifiant que les conditions prévues aux a et b ont été remplies jusqu’au jour de la transmission.
L’héritier, le donataire ou le légataire adresse, sur demande de l’administration et dans un délai de trois mois à compter de cette demande, une attestation, que la société dont les parts ou actions font l’objet des engagements de conservation mentionnés aux a et c lui transmet, certifiant que les conditions prévues aux a à d ont été respectées de manière continue depuis la date de la transmission.
Dans un délai de trois mois à compter du terme de l’engagement de conservation mentionné au c, l’héritier, le donataire ou le légataire adresse à l’administration une attestation, que la société lui transmet, certifiant que les conditions prévues aux a à d ont été respectées jusqu’à leur terme.
En cas de détention indirecte des parts ou actions faisant l’objet des engagements de conservation mentionnés aux a et c, chacune des sociétés composant la chaîne de participation transmet aux personnes soumises à ces engagements, dans les cas prévus aux deuxième et troisième alinéas du présent e, une attestation certifiant du respect, à son niveau, des obligations de conservation prévues aux a et c ;
e bis. En cas de non-respect de la condition prévue au a par l’un des signataires, l’exonération partielle n’est pas remise en cause à l’égard des signataires autres que le cédant si :
1° Soit les titres que ces autres signataires détiennent ensemble respectent la condition prévue au b et ceux-ci les conservent jusqu’au terme initialement prévu ;
2° Soit le cessionnaire s’associe à l’engagement collectif à raison des titres cédés afin que le pourcentage prévu au b demeure respecté. Dans ce cas, l’engagement collectif est reconduit pour une durée minimale de deux ans pour l’ensemble des signataires.
e ter. En cas de non-respect de la condition de conservation prévue au a, par l’un des héritiers, donataires ou légataires à la suite de la cession ou de la donation, à un autre associé de l’engagement mentionné au a d’une partie des parts ou actions qui lui ont été transmises à titre gratuit, l’exonération partielle n’est remise en cause pour le cédant ou le donateur qu’à hauteur des seules parts ou actions cédées ou données ;
f. En cas de non-respect des conditions prévues aux a et c par suite d’un apport partiellement rémunéré par la prise en charge d’une soulte consécutive à un partage ou d’un apport pur et simple de titres d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale à une société dont la valeur réelle de l’actif brut est, à l’issue de l’apport et jusqu’au terme des engagements de conservation mentionnés aux a et c, composée à plus de 50 % de participations dans la société soumises à ces engagements, l’exonération partielle n’est pas remise en cause si les conditions suivantes sont réunies :
1° Les trois-quarts au moins du capital et des droits de vote y afférents de la société bénéficiaire de l’apport sont, à l’issue de l’apport, détenus par les personnes soumises aux obligations de conservation prévues aux a et c. Cette société est dirigée directement par une ou plusieurs de ces personnes. Les conditions tenant à la composition de l’actif de la société, à la détention de son capital et à sa direction doivent être respectées à l’issue de l’opération d’apport et jusqu’au terme des engagements mentionnés aux a et c ;
2° La société bénéficiaire de l’apport prend l’engagement de conserver les titres apportés jusqu’au terme des engagements mentionnés aux a et c ;
3° Les personnes mentionnées au 1°, associées de la société bénéficiaire des apports, doivent conserver, pendant la durée mentionnée au 2°, les titres reçus en contrepartie de l’opération d’apport.
Le présent f s’applique également, sous les mêmes conditions, à l’apport de titres d’une société possédant directement une participation dans la société dont les parts ou actions font l’objet de l’engagement de conservation mentionné aux a ou c. Dans ce cas, à l’issue de l’apport et jusqu’au terme des engagements de conservation mentionnés aux a et c, la valeur réelle de l’actif brut de la société bénéficiaire de l’apport est composée à plus de 50 % de participations indirectes dans la société soumises aux obligations de conservation prévues aux a et c ;
g) En cas de non-respect des conditions prévues aux a ou b, par suite d’une fusion ou d’une scission au sens de l’article 817 A, d’une augmentation de capital ou d’une offre publique d’échange préalable à une fusion ou une scission dès lors que cette fusion ou cette scission est opérée dans l’année qui suit la clôture de l’offre publique d’échange, l’exonération partielle accordée lors d’une mutation à titre gratuit avant l’une de ces opérations n’est pas remise en cause si les signataires respectent l’engagement prévu au a jusqu’à son terme. Les titres reçus en contrepartie de ces opérations doivent être conservés jusqu’au même terme. De même, cette exonération n’est pas non plus remise en cause lorsque la condition prévue au b n’est pas respectée par suite d’une annulation des titres pour cause de pertes ou de liquidation judiciaire ;
h) En cas de non-respect de la condition prévue au c par suite d’une fusion ou d’une scission au sens de l’article 817 A, d’une augmentation de capital, ou d’une offre publique d’échange préalable à une fusion ou une scission dès lors que cette fusion ou cette scission est opérée dans l’année qui suit la clôture de l’offre publique d’échange, l’exonération partielle accordée lors de la mutation à titre gratuit n’est pas remise en cause si les titres reçus en contrepartie de ces opérations sont conservés par le signataire de l’engagement jusqu’à son terme.
De même, cette exonération n’est pas remise en cause lorsque la condition prévue aux b ou c n’est pas respectée par suite d’une annulation des titres pour cause de pertes ou de liquidation judiciaire ;
i) En cas de non-respect de la condition prévue au c par suite d’une donation, l’exonération partielle accordée au titre de la mutation à titre gratuit n’est pas remise en cause, à condition que le ou les donataires soient le ou les descendants du donateur et que le ou les donataires poursuivent l’engagement prévu au c jusqu’à son terme.
Les dispositions du présent article s’appliquent en cas de donation avec réserve d’usufruit à la condition que les droits de vote de l’usufruitier soient statutairement limités aux décisions concernant l’affectation des bénéfices.
Un décret en Conseil d’État détermine les modalités d’application du présent article, notamment les obligations déclaratives incombant aux redevables et aux sociétés.
Art. 787 B du CGI dans sa rédaction issue de la loi de finances rectificative pour 2022.
I.-Après le c de l’article 787 B du code général des impôts, il est inséré un c bis ainsi rédigé :
« c bis. La condition d’exercice par la société d’une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale, prévue au premier alinéa du présent article, doit être satisfaite à compter de la conclusion de l’engagement de conservation prévu au premier alinéa du a et jusqu’au terme de l’engagement de conservation prévu au c. Par dérogation, cette condition doit être satisfaite, dans le cas prévu au second alinéa du a, à compter de la transmission des titres et, dans le cas prévu au 2 du b, depuis deux ans au moins à la date de cette transmission. »
II.-Le I s’applique aux transmissions intervenant à compter du 18 juillet 2022 ainsi qu’à celles pour lesquelles, à cette même date, les conditions suivantes sont cumulativement remplies :
1° L’un des engagements mentionnés au c bis de l’article 787 B du code général des impôts est en cours ;
2° La société mentionnée au premier alinéa du même article 787 B n’a pas cessé d’exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
Art. 8. de la loi de finances rectificative pour 2022
D’autre part, la rétroactivité atteint des situations encore plus lointaines. Le « II » de l’article 8 de la loi de finances rectificative pour 2022 prévoit également que le nouveau « c » bis de l’article 787 B du CGI s’applique aux transmissions survenues avant même le 18 juillet 2022 dès lors qu’à cette même date l’engagement collectif ou individuel de conservation est en cours, à condition que la société n’ait pas déjà cessé à cette date d’exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
Le II de l’article 8 de la loi de finances précise en effet que les nouvelles exigences résultant du c) bis s’appliquent aux transmissions pour lesquelles au 18 juillet 2022, les conditions suivantes sont cumulativement remplies : 1° l’un des engagements collectif ou individuel de conservation est en cours ; 2° la société n’a pas cessé d’exercer une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale.
La dernière condition est destinée à prévenir une censure par le Conseil Constitutionnel qui serait inéluctable si la rétroactivité emportait directement remise en cause de l’exonération partielle, à l’égard de sociétés qui auraient d’ores et déjà cessé d’exercer l’activité éligible lors de la présentation de l’amendement. On peut douter que cette précaution soit suffisante. Outre que de telles cessations d’activités ont pu survenir entre le 18 juillet 2022 et la publication de la loi, la voie empruntée par le législateur pour atténuer les effets produits par l’application rétroactive des nouvelles dispositions et éviter une censure par les sages de la rue de Montpensier est trop étroit. Le critère du maintien de l’activité au 18 juillet 2022 est inadéquat et inapte à atteindre l’objectif recherché. Il est insuffisant eu égard à la portée temporelle considérable des nouvelles exigences imposées par la loi de finance rectificative pour 2022 qui atteint des situations bien antérieures à la poursuite des engagements fiscaux de conservation et qui pour certaines s’apprécient dès avant la transmission (Ainsi, par exemple, dans le cadre d’une transmission par décès survenue en 2021, pour laquelle les engagements fiscaux de conservation sont toujours en cours au 18 juillet 2022, la société continuant d’exercer son activité éligible à cette date, l’exonération partielle pourrait être remise en cause nonobstant la poursuite de l’activité éligible et la conservation des titres jusqu’à la fin de l’engagement individuel de conservation au motif qu’en vertu du nouveau « c » bis de l’article 787 B du CGI, la condition d’exercice par la société de l’activité éligible n’a pas été satisfaite continument à compter de la conclusion de l’engagement collectif de conservation ; et ce, alors même que les travaux parlementaires confirment que cette condition n’était pas requise lors le décès constituant le fait générateur de l’impôt est survenu en 2021).
On doit y être d’autant plus attentif que les travaux parlementaires précisent explicitement que la rétroactivité mise en place par la loi de finances est destinée à permettre à l’administration fiscale de remettre en cause le bénéfice de l’exonération à l’égard de transmissions qui ne respecteraient pas les nouvelles exigences requises nonobstant la jurisprudence précitée (Doc. Sénat préc., p. 180, note 1) .
On peut, sur ce point également, douter de la conformité à la Constitution de cette seconde rétroactivité qui peut atteindre des transmissions réalisées avant le 18 juillet 2022 pour lesquelles la société dont les titres ont bénéficié de l’exonération partielle n’a pas cessé d’exercer une activité éligible à cette même date.
Le Conseil constitutionnel n’a pas eu le loisir de se pencher sur cette question dans le cadre de sa décision rendue le 12 août 2022 (Décision 2022-842 DC du 2 août 2022) les griefs élevés contre la loi de finances rectificative n’étant pas orientés vers ces dispositions de la loi de finances. La question ne manquera pas de se poser dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (Constitution du 4 octobre 1958, art. 61-1) lorsque l’administration fiscale mettra en œuvre ces nouvelles dispositions.