Principalement sur trois points cruciaux, les commentaires administratifs publiés le 6 avril 2021 concernant l’exonération « Dutreil » étaient, de notre point de vue, totalement inacceptables, procédant d’une véritable dénaturation de ce régime de faveur (V. F. Fruleux, Exonération « Dutreil » : mise à jour du Bofip ou dénaturation du régime ? JCP éd. N 2021, n°21, 1200 et n°22, 1205).
Le praticien peut d’ores et déjà noter qu’ils sont intégralement rapportés par l’administration fiscale dans la version définitive du Bofip-impôts mise en ligne le 21 décembre.
I. EXERCICE DE LA FONCTION DE DIRECTION OU ACTIVITÉ PRINCIPALE POST TRANSMISSION
A la différence du dispositif applicable aux entreprises individuelles, le régime d’exonération concernant les transmissions de parts sociales ou actions ne subordonne pas l’exonération partielle à l’exercice par le bénéficiaire de la transmission d’une activité professionnelle ou fonction de direction au sein de l’entreprise. Une fois la transmissions réalisée, l’activité principale ou la fonction de direction devant être exercée pendant la période restant à courir de l’engagement collectif et les trois années suivant la transmission, peut indifféremment être assurée par un signataire de l’engagement collectif ou un bénéficiaire de la transmission (CGI, art. 787 B, d).
Après avoir explicitement confirmé ce point dès la mise en place du régime de faveur, l’administration s’était ravisée lors de la dernière actualisation du Bofip énonçant qu’une fois la transmission réalisée, un signataire de l’engagement collectif pouvait satisfaire à cette exigence uniquement durant la phase de poursuite de l’engagement collectif et à condition, s’agissant du donateur, de n’avoir pas transmis l’intégralité des titres compris dans le pacte d’associés : « A compter de la transmission, un associé signataire de l’engagement (y compris le donateur) ne peut exercer l’activité professionnelle principale ou, le cas échéant, la fonction de direction dans la société que s’il continue de détenir des titres de cette société soumis à un engagement de conservation et demeure à ce titre associé d’un engagement collectif ou, le cas échéant, unilatéral de conservation. Dès lors que l’ensemble des titres soumis à engagement a été transmis, la direction de la société doit être assurée par l’un des héritiers, légataires ou donataires » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n°395, 6 avril 2021).
L’infléchissement était double :
D’une part, à suivre l’administration le donateur ne pouvait plus, remplir l’exigence s’il avait transmis l’intégralité des titres faisant l’objet de l’engagement collectif. Il lui faudrait conserver une partie de ceux-ci pour continuer à remplir cette exigence : condition étonnante s’agissant d’un dispositif destiné à faciliter la transmission de ses parts sociales ou actions.
D’autre part, en toute hypothèse, l’engagement collectif ayant expiré, le donateur ou tout autre signataire de l’engagement collectif ne pourrait plus remplir la condition, la fonction de direction devrait alors nécessairement être assurée par l’un des bénéficiaires de la transmission. De très nombreux schémas de transmission, dans le cadre desquels la fonction de direction ou activité au sein de la société est exercée par le donateur ou un autre signataire de l’engagement collectif, une fois la transmission réalisée, le pacte d’associés expiré, se trouvaient remis en cause par ce revirement. Les arguments ayant pu être avancés par l’administration à l’appui de cette analyse obsolète n’emportait pas la conviction (v. F. FRULEUX, Exercice de la fonction de direction post-transmission : comment gérer l’incertitude ambiante et rédiger l’engagement collectif de conservation ? JCP N, n° 51-52, 1257).
Une telle lecture était à ce point éloignée du texte et des objectifs poursuivis par le législateur qu’elle nous apparaissait inéluctablement vouée soit au retrait volontaire par l’administration, soit à l’annulation par le juge (V. F. FRULEUX, Exonération Dutreil : mise à jour du Bofip ou dénaturation du régime ? (1ère partie préc. n° 13 ; Exercice de la fonction de direction post-transmission : comment gérer l’incertitude ambiante et rédiger l’engagement collectif de conservation ? préc).
L’administration a emprunté la première voie dans ses commentaires définitifs. Elle abandonne ses exigences pour revenir à son analyse initiale. Après avoir rappelé que la condition relative à l’exercice d’une fonction de direction ou activité principale au sein de la société doit être respectée jusqu’au terme de l’engagement collectif de conservation et pendant les trois ans suivant la transmission (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 380, 21 décembre 2021), elle précise que : « Pendant la totalité de cette période, la fonction de direction doit effectivement être exercée par :
– l’un des signataires de l’engagement collectif de conservation, y compris lorsqu’il a transmis tous les titres y étant soumis ;
– ou à compter de la transmission, l’un des bénéficiaires de cette dernière » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 390, 21 décembre 2021).
La formulation n’est guère heureuse puisque, après avoir confirmé que cette possibilité s’applique uniformément pendant la totalité de la période concernée, l’administration distingue la phase antérieure et postérieure à la transmission.
Il faut cependant assurément y voir un nouveau revirement d’analyse et la confirmation que comme l’admettait l’administration fiscale dans sa lecture initiale, la fonction de direction ou activité principale post-transmission peut indifféremment être assurée soit par un signataire de l’engagement collectif, soit par un bénéficiaire de la transmission, même après que le pacte d’associés a expiré.
Le Bofip vise à nouveau les « associés signataires de l’engagement unilatéral ou collectif de conservation des titres » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 390, 21 décembre 2021) et non plus « un associé de la société (…) signataire de l’engagement unilatéral ou collectif de conservation est encore tenu au respect de cet engagement » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 395, 6 avril 2021). Par ailleurs, le Bofip confirme explicitement que le signataire peut remplir cette exigence même lorsqu’il a, depuis la signature de l’engagement collectif, transmis l’intégralité des titres figurant dans le pacte d’associés, précisant qu’elle présente comme étant une mesure de tolérance.
Ce faisant, l’administration admet à nouveau, ce qui est une nécessité pour l’application de ce régime de faveur, que le pacte d’associés activé lors de la transmission, marque durablement de son empreinte la mise en œuvre de l’exonération partielle même lorsqu’il a formellement expiré.
Les autres développements modifiés par l’administration fiscale et concernant la remise en cause du régime de faveur (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20, n° 70, 21 décembre 2021) ne fournissent pas d’indications supplémentaires.
Le praticien qui aura suivi la recommandation consistant à ne pas rallonger d’emblée la durée de l’engagement collectif de conservation nonobstant les commentaires administratifs publiés le 6 avril dernier (V. sur cette recommandation F. FRULEUX, Exercice de la fonction de direction post-transmission : comment gérer les transmissions intervenant durant la phase transitoire ? NewsLetter de l’AUREP n° 413, 17 décembre 2021 ; Exercice de la fonction de direction post-transmission : comment gérer l’incertitude ambiante et rédiger l’engagement collectif de conservation ? JCPN préc) aura délivré à son client un conseil adapté.
Il aura pu réaliser la transmission en toute sécurité juridique sans avoir rallongé inutilement la durée des engagements fiscaux des bénéficiaires de la transmission pour se plier aux nouvelles exigences de la doctrine rétrospectivement rapportée.
II. ENGAGEMENT RÉPUTÉ ACQUIS ET CO-DIRECTION DE L’ENTREPRISE
Les nouveaux commentaires relatifs à l’exercice de la fonction de direction ou activité principale au sein de l’entreprise post-transmission en présence d’un engagement réputé acquis étaient tout autant contestables. Le Bofip impôts mis en ligne le 6 avril 2021 énonçait que : « l’exonération partielle ne trouve donc notamment pas à s’appliquer en cas d’engagement réputé acquis lorsque le donateur continue à exercer son activité professionnelle principale ou la fonction de direction dans la société après la transmission (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 395, 6 avril 2021) ». Une telle lecture qui condamnait littéralement toute cogestion de l’entreprise entre donateur et donataire en allant au-delà des exigences antérieures déjà restrictives, violait manifestement la lettre du texte et se situe aux antipodes des objectifs poursuivis par le législateur.
L’annulation d’une telle exigence ne faisait guère de doute (V. en ce sens F. FRULEUX, art. préc., n° 15).
Elle est clairement retirée par l’administration fiscale. Après avoir rappelé quant à l’engagement réputé acquis l’un des bénéficiaires de la transmission doit exercer une fonction de direction pour satisfaire à l’exigence légale, elle précise que : « cela n’exclut pas qu’un autre associé, y compris le donateur, exerce également une autre fonction de direction » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 395).
On observera que la confirmation est donnée uniquement à l’égard de l’exercice de la fonction de direction alors que l’exigence légale peut également concerner, pour les sociétés dont le résultat est imposé à l’impôt sur le revenu, l’exercice d’une activité professionnelle principale. Le silence gardé par l’administration fiscale sur ce dernier point attire l’attention. Les commentaires afférents à cette exigence sont en effet restrictifs (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 280, 21 décembre 2021) et dangereux pour le praticien. En effet, le renvoi fait à la doctrine administrative en matière d’impôts sur la fortune immobilière (IFI) pour le régime des actifs professionnels n’est que partiel, il exclut notamment les mesures de tempérament énoncées par l’administration à l’égard des plus réactifs exerçant leur activité professionnelle au sein de structures distinctes (BOI-PAT-IFI-30-10-10-30, n° 50 et s., 8 juin 2018) qui ne sont pas opposables à l’administration fiscale dans le cadre de la mise en œuvre de l’exonération Dutreil.
Pour autant, au regard des exigences imposées dans le cadre de ce régime de faveur, il nous semble parfaitement concevable que sous réserve de remplir les exigences requises, le bénéficiaire de la transmission exerce son activité principale dans la société conjointement avec le donateur ou un autre associé. On notera qu’ici comme ailleurs (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 270 et s., 21 décembre 2021) par commodité de langage, l’administration regroupe sous le terme d’exercice d’une fonction de direction au sein de la société, l’exigence imposée par le « d » de l’article 787 B du CGI y compris celle relative à l’exercice d’une activité professionnelle principale.
III. APPLICATION INDIRECTE DE L’EXONÉRATION AUX SOCIÉTÉS INTERPOSÉES
Les commentaires administratifs issus de l’actualisation du 6 avril 2021 étaient encore plus contestables s’agissant de l’application indirecte de l’exonération partielle que permet le régime des sociétés « interposées » régi par le 3 du « b » de l’article 787 B du CGI.
La dénaturation était patente, l’administration fiscale prétendant subordonner son application à la souscription par le donateur ou défunt de l’engagement collectif de conservation conclu sur les titres de la société cible exerçant l’activité éligible.
Cette exigence impliquait par définition que l’auteur de la transmission associé de la société interposée détienne également directement en qualité de personne physique une participation dans chacune des sociétés cibles. On frisait ici le contresens puisqu’à suivre l’administration, l’application indirecte de l’exonération serait subordonnée à une détention indirecte de participations dans chaque société civile.
Les indications du BOFIP à cet égard étaient univoques : « les personnes physiques porteuses de parts de sociétés interposées qui souhaitent transmettre sous le bénéfice de ces dispositions doivent être signataires de l’engagement collectif de conservation dans la société cible » (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10, n° 87 et 375, 6 avril 2021). Ils étaient repris dans d’autres développements du BOFIP.
Une telle dénaturation prenait également à contre-pied les objectifs poursuivis par la réforme du régime d’exonération que l’administration fiscale était censée commenter. Elle privait d’efficacité l’engagement unilatéral de conservation souscrit par une personne morale alors que les travaux parlementaires attestent que cette nouvelle forme d’engagement a originairement été créée pour intervenir dans un tel contexte (V. F. FRULEUX, art. préc. JCPN 2021 1200, n° 22).
Ces indications devaient absolument être retirées (V. F. FRULEUX, art. préc. JCPN 2021, 1200, n° 26). C’est chose faite. La version définitive du BOFIP mise en ligne le 21 décembre 2021 est expurgée des indications subordonnant l’exonération à l’adhésion par l’auteur de la transmission à l’engagement collectif (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 205 et 375, 21 décembre 2021). Sans l’énoncer explicitement, l’administration admet clairement comme initialement que l’engagement collectif conclu par la société interposée sur les titres de la société cible permet aux associés de la société interposée de bénéficier de l’exonération partielle lorsqu’ils transmettent les titres de cette dernière société (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 375, 21 décembre 2021) ; et ce même s’ils ne sont pas associés de la société cible ni signataires du pacte d’associés.
Les nouveaux commentaires se mettent en conformité avec les objectifs poursuivis par la loi de finances pour 2019 s’agissant de l’engagement unilatéral de conservation. Ils admettent sans restriction qu’un tel pacte peut être souscrit par une personne morale dans une société interposée et ouvrant droit aux associés de cette société au bénéfice de l’exonération partielle lors de la transmission des titres de la société interposée (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 87, 21 décembre 2021).
Si la dénaturation du régime de l’interposition n’est écartée, l’administration n’en revient pas pour autant dans ses commentaires du 21 décembre 2021 exactement à son analyse initiale. La nouvelle doctrine administrative est plus contraignante s’agissant des conditions que doit remplir l’associé de la société interposée dont les titres sont transmis pour pouvoir bénéficier de l’exonération partielle.
Le bofip précise que la participation transmise par donation ou succession doit être détenue depuis la conclusion de l’engagement collectif ou unilatéral de conservation conclu sur les titres de la société cible (« Les associés personnes physiques d’une société interposée doivent détenir depuis la conclusion de l’engagement collectif ou unilatéral de conservation sur la société cible les titres de la société interposée pour lesquels ils souhaitent bénéficier de l’exonération partielle », BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 n° 375, 21 décembre 2021). Cette exigence qui n’est pas expressément formulée par le texte se conçoit certes dans la logique de l’interposition et peut se rattacher à l’exigence propre à ce régime de conservation inchangé des participations avec niveau d’interposition (CGI, art. 787 B « b » 3, dernier alinéa) qui concerne également les associés personnes physiques de la société interposée faitière.
Il reste qu’elle est très contraignante particulièrement lorsque l’actionnariat de la société interposée est éclaté. Elle imposera un suivi très précis de l’évolution de l’actionnariat de la société interposée pour identifier ceux de ses associés susceptibles de bénéficier du régime de faveur. En pratique, cette exigence conduira à souscrire un nouvel engagement collectif de conservation sur les titres de la société cible pour ouvrir droit au bénéfice de l’exonération au titre d’une participation nouvellement acquise par un associé de la société interposée. Elle implique par conséquent une excellente coordination et un suivi des engagements collectifs entre la société holding interposée faitière et chacune des filiales ou sous-filiales cibles.
Elle conduira la société interposée détenant directement la participation dans la cible à inclure les titres qu’elle détient dans plusieurs engagements collectifs. Il est à craindre que cet empilement d’engagements collectifs dont l’activation dépendra de l’identité de l’auteur de la transmission complique encore inutilement la mise en œuvre du régime de faveur. Ces indications semblent très éloignées de l’objectif de simplification ayant mû le législateur dans le cadre de la réforme commentée par l’administration fiscale.
Rapprochés, les commentaires du 6 avril et du 21 décembre 2021 permettent de dessiner plus précisément les contours de l’influence qu’exercent dans le régime de l’interposition les modifications de l’actionnariat de la holding faitière.
•. La cession réalisée par un associé n’invalide pas en soi l’engagement collectif souscrit sur les titres de la société cible et n’empêche pas les autres associés société interposée faitière de bénéficier de l’exonération partielle lors de la transmission de leurs titres (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20 n°130, al. 1er, 21 décembre 2021).
•. Elle empêche en revanche l’associé cédant de se prévaloir de l’engagement collectif ultérieurement lors de la transmission des titres de la société interposée qu’il a conservés (BOI-ENR-DMTG-10-20-40-20, n° 130 al. 2, 21 décembre 2021).
•. Seule la conclusion d’un nouvel engagement collectif de conservation sur les titres de la société cible permettrait à cet associé de prétendre au bénéfice de l’exonération lors de la transmission de la participation reliquataire conservée dans la société interposée.
•. Si elle n’influe pas sur la possibilité pour les autres associés de cette société ayant conservé leurs participations de bénéficier du régime de faveur, l’acquisition de titres de la société interposée ne permettra pas à l’acquéreur de bénéficier de l’exonération lors de la transmission de ces titres tant qu’un nouvel engagement de conservation n’aura pas été conclu postérieurement à l’acquisition sur les titres de la société cible.
FRANÇOIS FRULEUX
(CONSULTANT AU CRIDON NORD-EST
MAITRE DE CONFÉRENCES ASSOCIÉ À L’UNIVERSITÉ PARIS-DAUPHINE)