Flashs

La question des indivisions ultramarines, et singulièrement polynésiennes, n’est pas nouvelle et suscite un contentieux récurrent. Une réforme était donc urgente et particulièrement bienvenue (C. Chodzko et C. Vannier, « La réforme des successions et son incidence en outre-mer Les « faiblesses » de la loi du 3 décembre 2001 » JCP N, 13 Janvier 2006, 1015).

Un premier projet de loi avait été déposé en décembre 2018, relatif au statut d’autonomie de la Polynésie française.

Le 27 juin 2019, le Conseil constitutionnel a censuré partiellement la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française (décision n° 2019-784 DC du 27 juin 2019), estimant notamment que les dispositions relatives au droit successoral applicable en Polynésie française constituaient des cavaliers législatifs.

Ces dispositions ont été reprises dans une nouvelle proposition de loi relative à la Polynésie française, soumise au Parlement en procédure accélérée.

Définitivement adoptée par les parlementaires, la loi n° 2019-786 du 26 juillet 2019 relative à la Polynésie française a été publiée au Journal Officiel du 27 juillet.

L’objectif affiché de la loi est la lutte contre l’indivision foncière, traditionnellement très marquée en Polynésie, mais en maintenant le caractère familial des propriétés immobilières polynésiennes. Les dispositions nouvelles tendent ainsi à réduire les cas d’indivision et favoriser les partages, en excluant le plus possible les tiers.

NOTE.

La loi nouvelle ne concerne pas uniquement les successions ouvertes en Polynésie Française, mais toutes les successions ou indivisions comprenant, en tout ou partie, des biens situés sur le territoire.

I.] DÉVOLUTION SUCCESSORALE : LIMITATION DU DROIT DE RETOUR DIT « DES FRÈRES ET SŒURS »

Alors qu’en métropole, en cas d’application du droit de retour de l’article 757-3 du Code civil, dit « des frères et sœurs » les biens reviennent en indivision pour moitié au conjoint survivant et moitié aux collatéraux privilégiés, la loi nouvelle prévoit une dévolution différente pour les biens situés en Polynésie.

Désormais, lorsque des biens immobiliers sont en indivision avec les collatéraux ou ascendants du défunt, ils sont dévolus en totalité à ses frères et sœurs ou à leurs descendants, eux‑mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission. Le conjoint survivant qui occupait effectivement le bien à l’époque du décès à titre d’habitation principale bénéficie toutefois d’un droit d’usufruit viager sur la quote‑part indivise du bien incluse dans la succession.

Plusieurs remarques peuvent être faites :

  • La nouvelle rédaction du texte ne concerne que les biens qui étaient antérieurement en indivision entre le défunt et ses collatéraux ou ascendants. Pour les biens appartenant en pleine propriété au défunt, voire en indivision avec des tiers, les dispositions générales de l’article 757-3 du Code civil restent applicables.
  • Seuls les biens immobiliers sont concernés : les meubles et, singulièrement, les parts sociales, restent soumises au texte de droit commun.
  • La dévolution ne se fait pas à égalité entre tous les collatéraux, mais uniquement au profit des descendants du ou des parents privilégiés à l’origine de la transmission. Ainsi, en cas de recomposition familiale, seuls les frères et sœurs descendants des parents à l’origine de la transmission pourront revendiquer ces biens.
  • Le conjoint survivant est privé de tout droit en propriété dans ces biens, recueillant toutefois, s’il occupait le bien à l’époque du décès à titre d’habitation principale un droit d’usufruit viager sur la quote-part indivise du bien incluse dans la succession. Le droit viager au logement du conjoint survivant, pourtant exclu lorsque le bien est en indivision entre le défunt et un tiers, trouve ici indirectement à s’appliquer par l’octroi d’un usufruit spécial. Par ailleurs, le droit ne portant que sur la fraction dépendant de la succession, le conjoint survivant devra, s’il souhaite se maintenir dans le logement, régler aux coïndivisaires du défunt une indemnité d’occupation.

NOTE.

En l’absence de disposition transitoire spécifique et s’agissant d’une disposition relative à la dévolution successorale, le texte a vocation à s’appliquer aux successions ouvertes à compter du lendemain de la publication au Journal Officiel (art. 1er C. civ. ; Cass. 1re civ., 16 mai 2012, n° 11-16239), soit le 28 juillet 2019.

II.] DEMANDE EN PARTAGE : ADMISSION DE LA MAJORITÉ

En droit commun, un partage est soit amiable et nécessairement unanime, soit judiciaire et tous les indivisaires doivent au moins y être appelés.

L’impossibilité de procéder à un partage amiable d’indivisions complexes a incité le législateur à prévoir un dispositif temporaire, applicable aux indivisions les plus anciennes.

La loi nouvelle adapte à la Polynésie le dispositif prévu par la loi « Letchimy » pour les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, permettant un partage amiable initié à la majorité des deux tiers des droits indivis (Loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer).

Désormais, pour les biens situés en Polynésie et pour toute succession ouverte depuis plus de dix ans, le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers en pleine propriété des droits indivis peuvent procéder, devant le notaire de leur choix, au partage des biens immobiliers indivis situés sur le territoire de la Polynésie française.

Le notaire choisi pour établir l’acte de partage en notifie le projet par acte extrajudiciaire à tous les indivisaires et procède à sa publication dans un journal d’annonces légales au lieu de situation du bien ainsi que par voie d’affichage et sur un site internet.

La notification fait état de l’identité du ou des indivisaires à l’initiative du partage, de leur quote-part d’indivision, de l’identité et des quotes-parts des indivisaires non représentés à l’opération, des coordonnées du notaire choisi, de la désignation du bien et de l’indication de la valeur de ce bien au moyen du recueil de l’avis d’au moins deux professionnels qualifiés ainsi que des allotissements prévus entre chacun des indivisaires. Elle fait également état du délai d’opposition au projet.

Tout indivisaire peut, dans le délai de trois mois qui suit cette notification, faire connaître son opposition au partage. Lorsque le projet de partage porte sur un bien immobilier dont les quotes‑parts sont détenues par au moins dix indivisaires ou lorsqu’au moins un indivisaire a établi son domicile à l’étranger, ce délai est porté à quatre mois.

Si un ou plusieurs indivisaires s’opposent au partage du bien indivis dans le délai imparti, le notaire le constate par procès‑verbal.

En cas de procès‑verbal constatant une opposition, le ou les indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis saisissent le tribunal foncier de la Polynésie française afin d’être autorisés à passer l’acte de partage. Le tribunal autorise ce partage si l’acte ne porte pas une atteinte excessive aux droits des autres indivisaires.

Notons que seul le partage est envisagé, non la vente à un tiers avec partage du prix. Le maintien des biens en nature dans la famille reste la préoccupation principale des auteurs de la loi.

La loi prévoit néanmoins un certain nombre de limitations ou interdictions :

  1. 1. En ce qui concerne le local d’habitation dans lequel réside le conjoint survivant ;
  2. 2. Si l’un des indivisaires est mineur, sauf autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille ;
  3. 3. Si l’un des indivisaires est un majeur protégé, sauf autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille ;
  4. 4. Si l’un des indivisaires est présumé absent, sauf autorisation du juge des tutelles dans les conditions prévues à l’article 116 du code civil.

Les cas prévus aux paragraphes 2°, 3° et 4° ne surprennent pas, à ceci près qu’ils réintroduisent l’autorisation du juge des tutelles pour les partages amiables même en l’absence d’opposition d’intérêts, autorisation pourtant supprimée par l’article 507 du Code civil tel que modifié par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 (Circ. 25 mars 2019, Civ./04/2019, Nor : JUSC1909309C).

Le paragraphe 1° se conçoit aisément lorsque le conjoint survivant n’est pas à l’initiative du partage. Mais quid si, au contraire, le conjoint survivant est demandeur ? Le partage pourrait-il avoir lieu dans les conditions du nouveau texte ? La rédaction stricte de l’article fait craindre une réponse négative.

Lorsque les indivisaires sont partiellement inconnus – cas très fréquent pour les indivisions successorales complexes – se posera la question de la notification du projet de partage, le texte imposant la notification à tous les indivisaires. Si l’indivisaire est connu mais introuvable, un huissier peut toujours valablement, si les éléments à sa disposition sont suffisants, notifier toute demande ou tout courrier à la dernière adresse connue (CPC, art. 659, CPC de Polynésie Française, art. 393 à 400). La question sera bien plus complexe si l’indivisaire ne peut être identifié.

Il pourrait être, dans ces cas, proposé la nomination d’un mandataire judiciaire (C. civ., art. 813-1 et suivants) représentant une souche défaillante, aux fins de recevoir toute notification relative au bien partagé ou de s’opposer au projet, ce qui aura pour nécessaire effet de soumettre le partage au juge foncier.

Il est néanmoins regrettable qu’une publicité générale, telle que prévue pour l’article 827 du Code civil (cf. infra) n’ait pas été envisagée.

NOTE. DISPOSITIONS TRANSITOIRES :

Le nouveau dispositif, conçu comme étant temporaire, s’applique aux projets de partage notifiés avant le 31 décembre 2028.

III.] RÉALISATION DU PARTAGE : ATTRIBUTION PRÉFÉRENTIELLE

Pour l’application en Polynésie française du 1° de l’article 831‑2 du code civil, l’attribution préférentielle peut également être admise si le demandeur démontre qu’il réside sur la propriété de manière continue, paisible et publique depuis plus de dix ans au moment de l’introduction de la demande de partage en justice.

Le contentieux de l’acquisition par prescription acquisitive, récurrent en Polynésie française, devrait ainsi se restreindre, en permettant une attribution préférentielle dans les cas où les conditions de l’usucapion ne sont pas réunies.

IV.] RÉALISATION DU PARTAGE : ATTRIBUTION PAR SOUCHE

Alors que l’article 827 du Code civil prévoit par principe un partage par tête, il est apparu nécessaire de prévoir une exception pour les cas, nombreux en pratique, dans lesquelles la composition d’une souche étant difficilement assurée le partage par tête devenait impossible à réaliser.

Le partage judiciaire peut désormais se faire par souche dès lors que la masse partageable comprend des biens immobiliers dépendant de plusieurs successions et lorsque ces biens :

  • 1° Ne peuvent être facilement partagés ou attribués en nature compte tenu du nombre important d’indivisaires ;
  • 2° Ne peuvent être facilement partagés ou attribués par tête compte tenu de la complexité manifeste à identifier, localiser ou mettre en cause l’ensemble des indivisaires dans un délai et à un coût raisonnables.

Dans le cas mentionné au 2°, la demande de partage par souche doit faire l’objet d’une publicité collective ainsi que d’une information individuelle s’agissant des indivisaires identifiés et localisés dans le temps de la procédure. Toute personne intéressée dispose d’un délai d’un an à compter de l’accomplissement de la dernière des mesures de publicité ou d’information pour intervenir volontairement à l’instance. À l’expiration de ce délai, les interventions volontaires restent possibles si l’intervenant justifie d’un motif légitime, apprécié par le juge, l’ayant empêché d’agir. Le partage par souche pourra avoir lieu si au moins un indivisaire par souche ou, à défaut, le curateur aux biens et successions vacants est partie à l’instance. Tous les membres d’une même souche sont considérés comme représentés dans la cause par ceux qui auront été partie à l’instance, sauf s’il est établi que leur défaillance n’est pas due à leur fait ou qu’elle est due à une omission volontaire du requérant.

Les modalités et conditions d’application, notamment les modalités d’information, seront fixées par le code de procédure civile de la Polynésie française.

NOTE. DISPOSITIONS TRANSITOIRES :

L’article s’applique aux demandes en partage introduites avant le 31 décembre 2028 et postérieurement à l’entrée en vigueur de la présente loi pour le cas mentionné au 1° ou postérieurement à l’entrée en vigueur des dispositions réglementaires nécessaires à l’application du cas mentionné au 2°.

IV.] CONTESTATION DU PARTAGE : OMISSION D’UN INDIVISAIRE

En cas d’omission, volontaire ou non, d’un indivisaire dans un partage, l’article 887-1 du Code civil prévoit la nullité du partage, sauf volonté contraire de l’héritier omis, lequel peut, à son choix, demander de recevoir sa part, soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage.

La superposition de nombreuses indivisions sur un même bien multiplie d’autant les risques d’omission fortuite d’un indivisaire et donc les risques de nullité du partage, aussi minime que soit la part de l’indivisaire omis.

La loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018, dite loi « Letchimy », avait prévu un dispositif dérogatoire dans les collectivités régies par l’article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, mais non en Polynésie Française.

La loi nouvelle étend ce dispositif à la Polynésie Française : lorsque l’omission d’un héritier résulte de la simple ignorance ou de l’erreur, si le partage judiciaire a déjà été soumis à la formalité de la publicité foncière ou exécuté par l’entrée en possession des lots, l’héritier omis ne peut solliciter qu’à recevoir sa part soit en nature, soit en valeur, sans annulation du partage. En cas de désaccord entre les parties, le tribunal tranche.

SANDRINE LE CHUITON
(CONSULTANTE AU CRIDON NORD-EST)

© FLASH n°7/2019 – 31 juillet 2019