Le ministre était interrogé sur le sens et la portée de l’article 913, alinéa 3 du Code civil, texte introduit par la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021, dont on peut rappeler la teneur :
« Lorsque le défunt ou au moins l’un de ses enfants est, au moment du décès, ressortissant d’un n° membre de l’Union européenne ou y réside habituellement et lorsque la loi étrangère applicable à la succession ne permet aucun mécanisme réservataire protecteur des enfants, chaque enfant ou ses héritiers ou ses ayants cause peuvent effectuer un prélèvement compensatoire sur les biens existants situés en France au jour du décès, de façon à être rétablis dans les droits réservataires que leur octroie la loi française, dans la limite de ceux-ci » (v. notre Actu juridique du 4 novembre 2021).
Dans la réponse, on lit que « en permettant aux enfants évincés d’une succession qui n’est pas régie par la loi française de récupérer une part successorale sur les biens situés en France, le législateur est revenu sur la jurisprudence de la Cour de cassation (1re Chambre civile, 27 septembre 2017, pourvoi n° 16-13.151, Publié au bulletin) et a fait de la réserve héréditaire un principe d’ordre public international ».
Le ministre interrogé entendrait-il faire de la réserve héréditaire un tel principe par l’effet de sa seule plume ? Peut-être mais ce serait oublier que les réponses ministérielles n’ont, en droit civil, aucune valeur juridique (v. par ex. : Defrénois 15 janv. 1993, p. 59). Alors, nonobstant cet avis, on continuera en droit positif de considérer que la réserve héréditaire est hors champ de l’ordre public international français.
Évidemment, ce principe doit être combiné avec la règle de l’article 913, alinéa 3, du Code civil mais qu’on cantonnera dans son strict domaine littéralement déterminé. La règle d’exception s’interprète a contrario et non par analogie. Dans la réponse ministérielle, ce régime de l’interprétation des lois semble avoir été malencontreusement oublié.
Ajoutons également que l’article 913, alinéa 3, du Code civil doit être appliqué, dans son domaine, par le notaire sans devoir aller devant un juge. Une lecture de la réponse ministérielle qui ne vise son application que par les juridictions françaises ne doit pas tromper.
Enfin même si à l’instar des travaux parlementaires ayant abouti à la loi de 2021, la réponse ministérielle se réfère à une volonté de lutter contre toutes formes de discrimination, ce dernier texte du Code civil peut s’appliquer à toute loi qui ne connaît pas de mécanisme réservataire protecteur des enfants sans question de distinctions en fonction du sexe ou de la religion, par exemple. D’ailleurs, peu importe qu’une telle loi soit applicable à la succession par l’effet d’un choix de loi nationale opéré par le défunt ou car il s’agit de la loi de sa résidence habituelle (v. art. 21 et 22, Règlement n° 650/2012).
Alors, oublions cette réponse ministérielle après l’avoir lue.
David BOULANGER
(DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CRIDON NORD-EST)