COMMENT CHAQUE NOTAIRE PEUT-IL PROCÉDER ?
- d’une part, que la réserve héréditaire est largement connue en droit comparé (pour une liste, v. not. : La réserve héréditaire en droit comparé, par JP DECORPS, Droit de la famille n° 5, mai 2019, dossier 21 ; v. aussi Rapport du groupe de travail – La réserve héréditaire, remis le 13 décembre 2019, n° 38 s., p. 36 s.) ;
- d’autre part, que les pays qui ignorent cette institution prévoient tous des équivalents fonctionnels (v. not. : Rapport précit. spéc. p. 45).
Nous estimons alors que, dans un premier temps, le notaire devra :
- exposer aux intéressés les dispositions du Règlement n° 650/2012 et les conséquences de son application (sur le point ici examiné : loi étrangère applicable à la succession, absence de réserve directement prévue dans celle-ci mais existence d’un équivalent fonctionnel ; position actuelle de la jurisprudence française retenant l’absence d’atteinte à l’ordre public international français, sauf situation de précarité économique ou de besoin : v. Civ. 1, 27 septembre 2017, deux arrêts, n° 16-13151 et 16-17198) ;
- les informer de l’existence de l’article 913, alinéa 3, du Code civil français tout en leur expliquant que le Règlement susvisé bénéficie de la primauté sur la loi interne (art. 55 de la Constitution) et devrait conduire, selon lui, à écarter le texte national en raison de la compétence de la loi étrangère désignée par le Règlement ;
- les alerter sur le fait que même si la réserve héréditaire des enfants n’est pas directement prévue dans la loi étrangère dès lors que celle-ci prévoit un équivalent fonctionnel, on pourrait considérer qu’on sort du champ d’application de l’article 913, alinéa 3, du Code civil.
- les enfants concernés décident d’invoquer le bénéfice de l’article 913, alinéa 3, du Code civil ; ils doivent alors, s’agissant d’intérêts privés, s’entendre avec les autres héritiers et gratifiés sur les modalités concrètes de son application (masse de calcul de la réserve, questions du rapport et de la réduction des libéralités…) ;
- les enfants concernés décident de ne pas revendiquer l’application de l’article 913, alinéa 3, du Code civil soit en considérant que l’équivalent fonctionnel que connaît la loi étrangère est suffisamment protecteur, soit en raison d’une renonciation pure et simple puisque l’application de la règle est facultative pour eux ; aucun formalisme ne s’impose pour une telle décision, le notaire la recueillera dans un écrit signé des parties, au minimum des enfants qui auraient pu revendiquer le bénéfice de la règle ;
- il y a désaccord entre les intéressés ; il reviendra à la partie la plus diligente de saisir le tribunal judiciaire, dont la compétence internationale ne pourra être déterminée qu’en application des dispositions du Règlement n°650/2012, après que le notaire aura expliqué qu’en se prévalant de l’article 913, alinéa 3, du Code civil on s’engage dans une procédure très aléatoire quant à son résultat et de longue durée…
Évidemment, le notaire prendra soin de se ménager la preuve écrite de l’accomplissement de son devoir de conseil et de l’information aux parties de la primauté du Règlement sur ce texte de droit interne et partant de l’incertitude entourant l’efficacité de sa mise en œuvre si son incompatibilité aux textes internationaux était judiciairement prononcée.
Enfin, on rappellera que ce droit de prélèvement concerne uniquement les successions ouvertes à compter du 1er novembre 2021, y compris si des libéralités ont été consenties par le défunt avant cette date (L. n° 2021-1109, art. 24 II).
ZOÉ ANCEL-LIOGER, SOPHIE CHALAS-KUDELKO ET MARIE STERVINOU
(SERVICE DIP DU CRIDON LYON)
DAVID BOULANGER
(CRIDON NORD-EST)