Actu professionnelleCOVID-19 : DROITS DE MUTATION À TITRE GRATUIT INCIDENCE DE L’ORDONNANCE N° 2020-306 DU 25 MARS 2020

Mise à jour suite à la publication dans la base BoFip-impôts d’une consultation publique du 3 avril 2020..

Le 26 mars 2020 sont parues au Journal Officiel de la République Française diverses ordonnances prises par le Gouvernement dûment habilité à cet effet aux termes de la loi n°2020-290 du 23 mars 2020 dite loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19.

En matière de droits de mutation à titre gratuit, les articles 10 et 11 de l’Ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période, attirent plus particulièrement notre attention.

La portée de ces articles est précisée par le Rapport au Président de la République relatif à ladite ordonnance et publié le même jour.

LE PRINCIPE :

  • SUSPENSION DE CERTAINS DÉLAIS À COMPTER DU 12 MARS 2020 ET JUSQU’À L’EXPIRATION D’UN DÉLAI D’UN MOIS À COMPTER DE LA DATE DE CESSATION DE L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE (ART. 10, I).

En son I, l’article 10 pose le principe d’une suspension des délais de prescription du droit de reprise de l’Administration fiscale qui arriverait à terme le 31 décembre 2020 pour une durée égale à celle de la période comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire. Ces délais de prescription seront donc prorogés d’autant. On remarquera qu’aucune précision n’y figure au sujet du décompte des intérêts de retard consécutifs à une proposition de rectification opérée pendant le délai prorogé et plus précisément sur le fait que les mois compris dans le délai de suspension seront ou non comptabilisés.

Cette suspension s’appliquera également, tant pour le contribuable que pour les services de l’administration fiscale, à l’ensemble des délais prévus dans le cadre de la conduite des procédures de contrôle et de recherche en matière fiscale (sans qu’une décision en ce sens de l’autorité administrative ne soit nécessaire) et à ceux applicables en matière de rescrit.

L’EXCEPTION :

  • LES DISPOSITIONS NE S’APPLIQUENT PAS AUX DÉCLARATIONS SERVANT À L’IMPOSITION ET À L’ASSIETTE, À LA LIQUIDATION ET AU RECOUVREMENT DES IMPÔTS, DROITS ET TAXES (ART. 10, II)

Toutefois, le II de ce même article 10 précise que le report des formalités déclaratives prévu par l’article 2 de l’Ordonnance (dont notamment les formalités et déclarations prescrites par la loi à peine de sanction) ne s’applique pas aux déclarations servant à l’imposition et à l’assiette, à la liquidation et au recouvrement des impôts, droits et taxes. Cette absence de suspension des délais pour déclarer se justifierait pas le besoin de préserver le recouvrement des recettes publiques nécessaires au fonctionnement des services publics et au soutien de l’économie.

LES CONSÉQUENCES :

  • LES DÉCLARATIONS DE SUCCESSIONS DEVRONT TOUJOURS ÊTRE DÉPOSÉES, AINSI QUE TOUTES AUTRES DÉCLARATIONS LIÉES À DES TRANSMISSIONS À TITRE GRATUIT !LES DROITS DE MUTATION À TITRE GRATUIT RESTENT EXIGIBLES SELON LES PRINCIPES HABITUELS.

Selon nous, les déclarations de successions sont concernées par cette exception. Il s’ensuit que, sauf dispositions particulières ultérieures, les notaires doivent continuer à veiller au dépôt des déclarations de succession dans les délais habituellement impartis par la loi (CGI, art. 641, 641 bis et 642). Or, par principe, le dépôt de la déclaration de succession doit être accompagné du paiement préalable de l’impôt (CGI, art. 1701). En cas d’impossibilité de déposer la déclaration de succession, il serait opportun de procéder à des acomptes dans ces mêmes délais afin d’éviter ou de limiter les pénalités d’usage (BOI-CF-INF-10-20-10).

De même, la révélation des dons manuels, et, le cas échéant, le paiement des droits de mutation à titre gratuit y afférent, ne devrait pas bénéficier d’un report de délai. Ainsi, l’exonération prévue à l’article 790 G du Code général des impôts impliquerait toujours d’enregistrer le don de somme d’argent dans le mois de sa réalisation.

 

On en déduit que l’interprétation littérale du II de cet article 10 invite à la plus grande prudence. Dans la mesure où celui-ci impose des déclarations dans les délais habituels, sans bénéfice d’un quelconque report, et que l’enregistrement d’une déclaration implique le paiement préalable de l’impôt, les notaires doivent s’efforcer à respecter les délais initiaux. En l’absence d’une prise de position officielle ultérieure faisant état d’une quelconque clémence en la matière, les règles restent inchangées, et ce, malgré toutes les contraintes…

D’ailleurs, le 3 avril dernier, l’Administration fiscale a publié au sein de sa base Bofip-impôts la mise en place d’une consultation publique portant sur un projet d’instruction comprenant trois documents :

  • BOI-DJC-COVID19-10 : DJC – COVID19 – Adaptation par ordonnances des délais de procédures administratives et juridictionnelles – Incidences sur les missions de la DGFiP
  • BOI-DJC-COVID19-20 : DJC – COVID19 – Adaptation par ordonnances des délais de procédures administratives et juridictionnelles – Incidences en matière de contrôle fiscal
  • BOI-DJC-COVID19-30 : DJC – COVID19 – Adaptation par ordonnances des délais de procédures administratives et juridictionnelles – Incidences en matière d’agréments et rescrits.

L’un deux confirme l’absence de report d’échéance en précisant littéralement ce qui suit : « Pour les déclarations fiscales, aucun report d’échéance n’est prévu par ordonnance. Sauf dans le cas des mesures de report prises par instruction aux services (services des impôts des entreprises et services des impôts des particuliers) et accordées sur demande des contribuables (par exemple : échéances d’impôts directs de mars), les contribuables sont tenus de déclarer et de payer leurs dettes fiscales selon les règles et le calendrier de droit commun. » (BOI-DJC-COVID19-10 § 10).

 

Cette enquête publique permet aux administrés de faire part de leurs remarques éventuelles : « Les nouveaux commentaires figurant dans le présent document font l’objet d’une consultation publique du 3 avril au 13 avril 2020 inclus pour permettre aux personnes intéressées d’adresser leurs remarques éventuelles à l’administration. Ces remarques doivent être formulées par courriel adressé à l’adresse suivante : bureau.jf2a@dgfip.finances.gouv.fr. Seules les contributions signées seront examinées. Dès la présente publication, vous pouvez vous prévaloir de ces commentaires jusqu’à leur éventuelle révision à l’issue de la consultation. » (BOI-DJC-COVID19-10).

Des modifications ou précisions sont donc susceptibles d’intervenir au terme de cette enquête. Pour le moment, en l’absence d’instruction officielle aux services concernant les déclarations de succession ou le don manuel, l’obligation de respecter les délais initiaux perdure.

 

PRÉCISION COMPLÉMENTAIRE :

Aux termes de l’article 11, l’ensemble des créances dont le recouvrement incombe au comptable public bénéficieront aussi d’une suspension des délais applicables en matière de recouvrement et de contestation pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire augmentée de trois mois. Ces dispositions nous paraissent viser les créances mises en recouvrement par voie de rôle. En effet, la mise en recouvrement permet de faire courir un nouveau délai de prescription particulier d’une durée de quatre ans (LPF, art. L 274 et 275), lequel délai serait donc également suspendu. Autrement dit, le comptable public pourrait poursuivre le recouvrement au-delà du traditionnel délai de prescription de quatre ans, pourvu qu’il soit dans le délai de prorogation, mais le contribuable ne devrait pas pour autant être dispensé du paiement de l’impôt recouvré dans le délai figurant dans l’avis de recouvrement.

JULIEN VERCHAIN
(CONSULTANT AU CRIDON NORD-EST)