Manipuler les droits de préférence et préemption forestiers revient aujourd’hui à se hasarder dans un jeu de piste, muni d’une carte législative dont les rares termes qui peuvent sembler clairs sont embrumés par une boussole jurisprudentielle qui indique tout sauf le nord (inscrivez-vous à notre toute prochaine formation sur la forêt afin de retrouver cette question et garantir la sécurité juridique de vos actes).
La matière est complexe et requiert un niveau de technicité inédit tant chaque terme comporte sa propre dose d’interprétation. Alors que la lettre du texte, son esprit et les premiers arrêts rendus s’accordaient à apprécier la nature boisée de la parcelle contiguë en se fondant sur le critère de réalité, ce point vient d’être remis en cause par la Cour d’appel de Poitiers, dans un arrêt rendu le 29 octobre 2019 (RG n°17/03785).
Les faits se sont déroulés en 2011, et s’articulaient autour d’une vente soumise au droit de préférence des voisins. Dans sa rédaction de l’époque, le dispositif profitait déjà aux propriétaires, « tels que désignés sur les documents cadastraux », de parcelles « boisées » et « contiguës » au bien vendu (C. for., art. L 514-1). A défaut de renvoi au cadastre pour apprécier la nature boisée des parcelles contiguës, une lecture stricte du texte conduit l’interprète à se fier à la réalité pour apprécier si le droit de préférence est ouvert à son propriétaire.
Cette position est en outre conforme à l’esprit du dispositif, voué à relancer l’exploitation des bois en France, et qui perd tout son sens s’il se réalise au profit du propriétaire d’un pré ou d’une terre. Les différentes cours d’appel saisies de la question se sont d’ailleurs prononcées dans ce sens (CA Amiens, 1re ch. civ., 1er juin 2017, n° 15/04740 : JurisData n° 2017-011863 : « Qu’au contraire, ainsi que l’ont à bon droit indiqué les premiers juges, il convient de s’attacher à la nature réelle des parcelles voisines pour déterminer s’il faut notifier à leurs propriétaires dont les références sont effectivement à rechercher par le notaire dans le cadastre pour les identifier, le prix et les conditions de vente pour leur permettre d’exercer leur droit de préférence » ; CA Orléans, 19 Juin 2017, n° 15/04029 : refus s’agissant d’une parcelles seulement composée d’ « arbres plantés en périphérie » ; CA Amiens, 13 Juin 2017, n° 15/04428). Il est vrai que, si le cadastre rejoint la réalité, les juges le relèvent utilement aussi (V. CA Paris, 5 Avril 2019, n° 17/13116).
Pourtant, la Cour d’appel de Poitiers annonce que « l‘article L.514-1 du code forestier, contrairement à ce qui a été indiqué par le tribunal, fait une référence explicite aux documents cadastraux. Ce texte indique de manière claire que c’est la désignation sur les documents cadastraux qui détermine les propriétaires bénéficiaires du droit de préférence. En dépit de ce qui est soutenu par les notaires, le vendeur et les acquéreurs, la qualification cadastrale ne peut en aucun cas être écartée, ignorée au profit d’une recherche de la nature réelle de la parcelle ».
Se prononcer en faveur d’une meilleure cohérence du dispositif demeure louable, mais la tournure affirmative employée par les juges qui tirent argument du texte-même ne convainc pas. La déduction à laquelle ils se livrent, qui part de l’identification par le texte du voisin au regard du document cadastral pour éliminer l’examen de la nature réelle de la parcelle dont il est propriétaire, paraît aller au-delà de l’interprétation. Il est vrai que ce dispositif est compliqué à manœuvrer et que sa soumission totale à l’outil cadastral pourrait simplifier les démarches. Pourtant, seule une modification du texte semblerait pouvoir conduire à ce résultat et il devient urgent que la Cour de cassation se prononce sur ces points qui ne dépassent généralement (et malheureusement) pas le stade de l’appel.
La sécurité pourrait commander de cumuler les deux critères, cadastre et réalité, ainsi que l’avait recommandé une ancienne réponse ministérielle (« Les deux éléments de fait et de droit relatifs à la définition de la parcelle contiguë doivent être réunis. Ainsi, seuls les propriétaires riverains qui ont des parcelles boisées et inscrites au cadastre en nature de bois sont bénéficiaires du droit de préférence », Rép. Min. Le Nay, Q. n°117552, JOAN du 18 oct. 2011, p. 11050). Néanmoins, il semble également difficile d’écarter un voisin au motif que sa parcelle est boisée dans la réalité mais pas au cadastre.
La réalité doit continuer à demeurer le critère dominant mais, à la lecture de cet arrêt, il convient de se méfier des parcelles non boisées dans la réalité qui sont, par erreur (volontaire ou pas), classées au cadastre en bois. Pour ces dernières, afin d’éviter toute mise en cause sur le plan de la responsabilité, il est recommandé de fournir une reconnaissance de conseil donné aux parties pour insister sur l’aléa entourant cette catégorie de biens, qui ne semble pas éligible, mais dont nous avons dorénavant un arrêt isolé qui les fait entrer dans le dispositif.
En l’espèce, la Cour d’appel retient la responsabilité des notaires, « la nullité de la vente (étant) en relation directe avec la faute des notaires qui ont donc manqué à leur obligation de veiller à l’efficacité de l’acte juridique reçu ». Le notaire du vendeur a ainsi été condamné à verser au voisin la somme de 1.000 € et à l’acquéreur, subissant la nullité de la vente, la somme de 2000 euros en réparation de leur préjudice (un vice de procédure a écarté le notaire de l’acquéreur).
La parcelle contiguë litigieuse était classée au cadastre en nature de taillis et les aurguments des parties nous laissent penser qu’elle était également boisée dans la réalité. Un projet de chambres d’hôtes planait sur ce terrain et le chantier de construction avait même commencé le 9 août 2011. Il n’avait néanmoins pas conduit au déboisement de la parcelle au moment où les formalités de notification ont été accomplies au titre du droit de préférence par le notaire, le 18 novembre 2011, à l’égard des autres voisins. Les vendeurs se prévalaient du déboisement des trois quarts de la parcelle « fin 2011 » (cette imprécision laissant penser que le déboisement fut réalisé postérieurement aux notifications) tandis qu’un rapport d’expert établissait « que la parcelle D 653 (faisait) 7819 m2, que la surface totale défrichée correspond(ait) au 1/4 de la parcelle, (et était) boisée à l’exclusion du bâtiment ».
Il est intéressant de noter que les juges retiennent, dans le silence du texte, qu’il convient de se placer au jour auquel la vente est notifiée aux voisins pour apprécier le boisement, soit le 18 novembre 2011 en l’espèce.
Ainsi présentée, il est difficile d’établir si cette réalité ouvrait le droit de préférence du voisin, au jour de la notification. La réalité, par définition, repose sur une description factuelle du bien au jour où l’existence du droit doit être pesée, sans anticiper sur son image future même en ayant connaissance d’un projet en cours de réalisation (le dossier déposé au soutien du permis de construire prévoyait de ne maintenir « que des arbres de haute futaie sur le pourtour » et « un immeuble à usage d’habitation était en train ou sur le point d’être érigé »). Les vendeurs soutenaient que la parcelle en question devait être écartée du champ d’application du dispositif du seul fait qu’elle accueillait un bâti, ce qui emportait sa qualification en terrain à bâtir pour sa totalité, réfutant toute idée de mixité. Les voisins s’appuyaient quant à eux sur le double critère, du cadastre et de la réalité, pour qualifier la parcelle de « boisée » au sens du texte.
La présence de bâti ne saurait en effet écarter à elle seule toute idée de boisement, et la notion de mixité doit pouvoir être accueillie. Si ce dossier semblait controversé, ce qui rend l’arrêt difficilement exploitable, l’analyse expéditive des juges d’appel met dans l’embarras le praticien, aucune certitude ne réussissant à se dégager de la matière.
Si ce dispositif est voué à favoriser la restructuration du foncier forestier, dont la valeur demeure faible, assurer la sécurité juridique des actes qui sont pris dans ce cadre demeure essentiel, au risque de justifier des refus d’instrumenter en cas de conflit de voisinage, qui devront se régler devant le juge avant que le notaire accepte de prendre sa plume.
CONSEIL PRATIQUE.
L’incertitude entourant la question conduit à recommander au notaire de notifier la vente, au titre du droit de préférence forestier, à chaque propriétaire d’une parcelle contiguë boisée dans la réalité, qu’elle soit ou non classée au cadastre en bois.
Si la parcelle n’est pas boisée dans la réalité mais est classée au cadastre en bois, il est conseillé de procéder à la formalité de notification en l’assortissant d’une reconnaissance d’avis donné précisant les interprétations antagonistes retenues par les différentes juridictions du fond saisies sur ce point, qui ne permettent pas de définir une ligne de conduite fiable en mesure d’assurer le bienfondé de l’envoi, ni même la sécurité juridique absolue de la transaction en supprimant tout risque lié à un éventuel recours d’un tiers.
CA Poitiers, 29 oct. 2019, RG n° 17/03785
STÉPHANIE DE LOS ANGELES
(CONSULTANTE AU CRIDON NORD-EST)
ATTENTION.
Un point sur cette actualité juridique sera fait à l’occasion de notre formation dispensée sur questions de droit forestier.
QUESTIONS DE DROIT FORESTIER par Stéphanie DE LOS ANGELES & Philiipe DUPUIS
DATES.
06.02.20 Pont-à-Mousson
07.02.20 Reims
12.02.20 Amiens
13.02.20 Lille