Actu professionnelleVIOLENCES CONJUGALES ET DÉVOLUTION SUCCESSORALE : UN NOUVEAU CAS D’INDIGNITÉ
La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, parue au JO du 31, a créé une nouvelle cause d’indignité, sanctionnant par la privation des droits successoraux les atteintes graves commises dans le cadre familial, ayant pénalement été sanctionnées, même si ces infractions n’ont pas été à l’origine du décès du de cujus.

LES INFRACTIONS CONCERNÉES : UN DOMAINE ÉLARGI

Constatant que le champ d’application de l’indignité successorale était, jusqu’à présent, très étroit, les parlementaires ont souhaité en éteindre le champ d’application, afin de sanctionner civilement les violences familiales.

Cette extension se fait bien évidemment par renvoi aux infractions pénales existantes.

 

Existe-t-il une sanction pénale spécifique pour les violences familiales ?

A proprement parler, non. Les infractions commises dans le cadre familial sont des infractions « générales » (meurtre, violence, etc.) aggravées par le lien familial existant entre l’auteur et la victime, soit par une augmentation de certaines peines encourue (ex. art. 222-10 C. pén. pour les violences volontaires), soit par une cause générale d’aggravation de la peine. Sont ainsi aggravées les infractions commises par « le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu’ils ne cohabitent pas », et y compris lorsque la relation avec la victime a cessé dès lors que l’infraction est commise en raison des relations ayant existé entre eux (CPP, art. 132-80).

Cette absence de définition des « violences familiales » permet ainsi de sanctionner très largement toute atteinte commise dans le cadre familial, sans qu’une définition trop restrictive ne gêne la qualification pénale.

 

Par ricochet, les causes d’indignité successorale ne visent pas les « violences familiales » mais, plus spécifiquement, un certain nombre d’infractions nécessairement commises dans le cadre familial.

Depuis 1804, les atteintes portées au défunt emportent indignité successorale, donc exclusion de la succession. Toutefois, l’indignité n’a été pendant longtemps que très strictement admise par le Code civil : seules les infractions liées au décès du de cujus – soit que l’indigne ait provoqué celui-ci, soit qu’il ne l’ait pas empêché – emportaient privation des droits successoraux (C. civ., anc. art. 727).

La loi du 3 décembre 2001 a quelque peu précisé et étendu le champ d’application en y ajoutant les violences volontaires, dès lors que celle-ci ont entrainé la mort (C. civ., art. 726 et 727).

 

Les violences n’étant pas à l’origine du décès étaient donc largement exclues du domaine d’application des articles 726 et 727 du Code civil.

La loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a créé une nouvelle cause d’indignité, sanctionnant par la privation des droits successoraux les atteintes graves commises dans le cadre familial, même si ces infractions n’ont pas été à l’origine du décès du de cujus.

L’article 727 du Code civil est ainsi complété :

« Peuvent être déclarés indignes de succéder […]

2° bis Celui qui est condamné, comme auteur ou complice, à une peine criminelle ou correctionnelle pour avoir commis des tortures et actes de barbarie, des violences volontaires, un viol ou une agression sexuelle envers le défunt ; ».

NOTE :

Malgré la rédaction a priori stricte du titre de la loi, visant à protéger les victimes de « violences conjugales », la large rédaction de l’article 727 du Code civil n’exclut pas son application aux violences commises dans le cadre familial mais non conjugal (ex. ascendants, descendants, collatéraux).

APPLICATION DE LA LOI DANS LE TEMPS

Faute de dispositions transitoires expressément prévues par la loi, il convient de revenir aux règles de droit commun.

La loi entre en vigueur le lendemain de la publication au Journal Officiel, soit une entrée en vigueur le 1er août 2020 (art. 1er C. civ. ; Cass. 1re civ., 16 mai 2012, n° 11-16239).

Par ailleurs, les règles relatives à la dévolution successorale sont celles en vigueur au jour du décès. Les nouveaux textes ne sont donc applicables qu’aux successions ouvertes à compter de cette date, indépendamment de la date du prononcé de la décision pénale.

LES CONDITIONS D’APPLICATION DE L’INDIGNITÉ : UNE SANCTION FACULTATIVE

Rappelons qu’existent traditionnellement deux formes d’indignité successorale, prévues par les articles 726 et 727 du Code civil : l’indignité automatique et l’indignité facultative, ne dépendant pas de la nature de la nature de l’infraction ou de la juridiction saisie, mais de la nature de la peine.

En cas de condamnation à une peine criminelle, l’indignité est automatique et le prononcé de la peine pénale emporte nécessairement indignité successorale. A l’inverse, la condamnation à une peine correctionnelle suppose, une fois la décision pénale prononcée, une deuxième instance civile dans laquelle le juge pourra – ce n’est pas une obligation mais très fréquent en pratique – prononcer l’indignité successorale.

Souvenons-nous également qu’une Cour d’assise peut valablement prononcer aussi bien une peine criminelle qu’une peine correctionnelle (C. pénal, art. L. 132-18 al. 2), alors que le tribunal correctionnel ne peut prononcer qu’une peine correctionnelle.

Pour connaître la nature de la peine, il convient de s’attacher à la sanction prononcée par la juridiction pénale : il convient de distinguer la peine de « réclusion criminelle » (C. pénal, art. 131-1) et la peine d’emprisonnement qui est une peine correctionnelle.

 

La loi nouvelle abolit cette distinction pour les infractions visées par la loi de 2020 : l’indignité est dans tous les cas facultative, quelle que soit la nature de la peine prononcée. Le juge civil ne sera par ailleurs pas tenu par la condamnation pénale et pourra, en fonction des circonstances (ex. « pardon » implicite par la reprise durable et volontaire de la vie commune) maintenir les droits successoraux.

Deux décisions, une pénale et une civile, seront donc nécessaires pour que l’indignité soit prononcée.

NOTE :

Malgré une condamnation pénale, donc une reconnaissance de culpabilité – l’auteur des faits peut être dispensé de peine. Faute de peine, l’indignité ne pourra être retenue.

LE PRONONCÉ DE LA SANCTION CIVILE

L’instance civile doit être engagée à la demande d’un autre héritier, dans les six mois du décès si la décision de condamnation ou de déclaration de culpabilité est antérieure au décès, ou dans les six mois de cette décision si elle est postérieure au décès (C. civ., art.727-1).

 

Pour le notaire chargé du règlement de la succession, faute d’accès au casier judiciaire de l’auteur des faits – à supposer que la condamnation soit inscrite et non périmée – seules les informations délivrées par les autres membres de la famille permettront d’apporter un conseil adapté, eu égard au très court délai d’action.

 

L’indignité n’étant que facultative, la décision civile sera nécessairement rendue après le décès. Tant que l’indignité n’aura pas été prononcée, l’auteur des faits reste héritier et doit donc intervenir à tous les actes. Si celle-ci est finalement prononcée, l’indigne perdra rétroactivement tous ses droits dans la succession et sera, par conséquent, tenu de rendre tous les fruits et tous les revenus dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession (C. civ., art. 729). Il sera le cas échéant représenté par ses propres descendants (C. civ., art. 729-1).

NOTE :

Une copie simple d’un jugement pénal peut être communiquée à tous si le jugement a été prononcé publiquement et uniquement aux parties ou à leurs héritiers dans le cas contraire. La demande se fait par le formulaire Cerfa n° 12823*01.

UN PARDON EST-IL POSSIBLE ?

Suite à la condamnation pénale, la victime peut-elle pardonner et maintenir volontairement les droits successoraux ?

L’article 728 du Code civil permet le rétablissement un tel rétablissement des droits successoraux :

« N’est pas exclu de la succession le successible frappé d’une cause d’indignité prévue aux articles 726 et 727, lorsque le défunt, postérieurement aux faits et à la connaissance qu’il en a eue, a précisé, par une déclaration expresse de volonté en la forme testamentaire, qu’il entend le maintenir dans ses droits héréditaires ou lui a fait une libéralité universelle ou à titre universel ».

Par testament, la victime peut ainsi soit rétablir la dévolution légale, soit consentir un legs universel ou à titre universel.

LES DÉVOLUTIONS CONVENTIONNELLES : UN OUBLI ?

Un regret toutefois : les libéralités à cause de mort consenties avant la condamnation pénale (legs ou donation entre époux) ne sont pas concernées par la loi nouvelle.

Pour ces dispositions, les dispositions non modifiées des articles 1046 et 955 du Code civil restent applicables, à supposer que la victime n’ait pas elle-même révoqué la libéralité.

 

Pour les contrats d’assurance-vie, l’article L. 132-24 du code des assurances précise que « le contrat d’assurance cesse d’avoir effet à l’égard du bénéficiaire qui a été condamné pour avoir donné volontairement la mort à l’assuré ou au contractant ». Le texte ajoute que « si le bénéficiaire a tenté de donner la mort à l’assuré, le contractant a le droit de révoquer l’attribution du bénéfice de l’assurance, même si le bénéficiaire avait déjà accepté la stipulation faite à son profit ».

Ici encore, il est regrettable qu’à l’occasion du vote de la loi sanctionnant les violences conjugales le domaine d’application de ce texte n’ait pas été modifié.

 

Enfin, les avantages matrimoniaux, notamment l’attribution intégrale de communauté, restent maintenus. En effet, la jurisprudence retient de manière traditionnelle, particulièrement injuste mais conforme aux règles légales en vigueur, que les avantages matrimoniaux ne sont pas des libéralités et ne sont donc révoqués ni par l’indignité, ni par l’ingratitude (Cass. civ. 1ère, 7 avril 1998, pourvoi 96-14.508 ; CA Aix-en-Provence, 23 mars 2016, n° 2016/82 ; CA d’Aix-en-Provence, 23 octobre 2019, n° 2019/301).

SANDRINE LE CHUITON
(CONSULTANTE AU CRIDON NORD-EST)